Ogre : Gare à la nuit !
Premier long métrage d’Arnaud Malherbe à se frayer un chemin jusqu’aux salles obscures, Ogre joue avec la peur du noir et l’angoisse des bruits nocturnes, qui nous font évidemment encore frémir à l’âge adulte. Un drame fantastique à la mise en scène maîtrisée qui pêche cependant par quelques fausses notes scénaristiques.
Tout juste débarquée dans le Morvan pour fuir un passé douloureux, Chloé (Ana Girardot) entame une nouvelle vie en tant qu’institutrice avec Jules (Giovanni Pucci), son fils de 8 ans. Dans ce patelin perdu au milieu des champs et d’une épaisse forêt, la jeune femme tombe sous le charme de Mathieu (Samuel Jouy), un charismatique et mystérieux médecin. Mais la campagne reculée est loin d’être paisible : un enfant a disparu et une bête sauvage s’attaque quotidiennement au bétail. Jules est rapidement en alerte, puisqu’il sent quelque chose rôder la nuit autour de la maison. A la croisée de Teddy (2020) des frères Boukherma et du Labyrinthe de Pan (2006) de Guillermo del Toro, l’ambitieux Ogre et son format Scope s’amusent des perspectives et accentuent la distorsion entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, par le biais de très gros plans sur les yeux, les parcelles de peau et les moindres sensations de ses protagonistes mis en opposition avec les décors massifs, parfois oppressants, de la Bourgogne Franche-Comté. Le spectateur, rapidement happé par l’univers visuel sombre et maîtrisé du film, voit finalement le monde tel que le perçoit Jules et entre par la même occasion dans l’imagination débordante (ou pas) du bambin. Malentendant, le jeune garçon n’hésite pas à couper son appareil auditif lorsque son environnement, sa mère et/ou les autres l’ennuie. Un handicap qui permet au réalisateur de faire monter le suspens et l’angoisse du spectateur lors de plusieurs séquences nocturnes intenses. Facile certes, mais terriblement efficace. Sans trop en dire du récit, Arnaud Malherbe revisite habilement les mythes de l’ogre et des peurs enfantines, et propose un film fantastique malin malgré son budget modeste, dont les multiples lectures peuvent parler aux plus imaginatifs comme aux plus terre-à-terre d’entre nous.
Très prenante sur son premier tiers, l’intrigue s’essouffle malheureusement par la suite et s’étire en longueurs. Les personnages gravitant autour de Chloé et Jules perdent par ailleurs de leur authenticité et deviennent aussi creux qu’une coquille vide. Le médecin, pourtant énigmatique et terrifiant au départ, finit par devenir une sorte de réplique grossière du révérend Powell dans La Nuit du Chasseur (1955), et les villageois, adultes comme enfants, sont représentés comme un troupeau d’êtres inhospitaliers et agressifs de façon assez gratuite. Le harcèlement scolaire dont est victime Jules à cause de son handicap passe par ailleurs au second plan et semble superflu dans le récit. On reste ceci dit pantois face à l’ambition louable du réalisateur et son hommage singulier aux contes qui ont bercé son enfance, d’autant qu’on est toujours ravis qu’un nouveau film de genre français puisse se faufiler dans nos salles. Une nouvelle sortie originale possible grâce au duo montant The Jokers / Les Bookmakers, à qui l’on doit notamment la distribution récente et remarquée des films Teddy, La Nuée (2020) et Lamb (2021), entre autres. En bref, si Ogre n’est pas sans défaut, il nous catapulte dans l’univers référencé et onirique de son réalisateur, et c’est déjà pas mal.
Réalisé par Arnaud Malherbe. Avec Ana Girardot, Giovanni Pucci, Samuel Jouy… France, Belgique. 01h43. Genres : Drame, Fantastique. Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers. Avertissement : Des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs. Sortie le 20 Avril 2022.
Crédits Photo : © The Jokers / Les Bookmakers.