Séries Mania 2022 : Rencontre avec l’équipe de « The King (Il Re) »
Présenté en Compétition Internationale, le dernier-né de SKY Italia, la chaîne qui a atteint une renommée internationale avec Gomorra, est un thriller carcéral d’un autre genre. Il Re (présenté sous son titre international The King en sélection) met en scène Bruno Testori, directeur de prison totalitaire d’un établissement de San Michele, en proie à un vacillement de pouvoir après le meurtre d’un de ses plus proches lieutenants. La procureure Laura Lombardo (Anna Bonaiuto) s’immisce dans son monde pour mener l’enquête, alors que des événements troublants s’amoncellent. Bruno Testori, c’est un peu comme si le ripou magnifique Vic Mackey de The Shield avait atteint l’immunité totale et, pour interpréter cette réplique italienne, les producteurs ont choisi le Commissaire Montalbano, l’équivalent italien de Maigret himself (dont l’intégralité des téléfilms tirés de l’œuvre d’Andrea Camilleri a été diffusée par France 2 et France 3), Luca Zingaretti. Accompagné du réalisateur de la série, Giuseppe Gagliardi, il détaille le leitmotiv de cette série très noire.
Giuseppe, vous avez été réalisateur sur plusieurs séries de SKY Italia, dont la trilogie 1992/1993/1994 (vue sur OCS, ndr). Vous entretenez une relation de confiance et de longue date avec la chaîne. Quelle liberté créative pouvez-vous vous permettre aujourd’hui ?
Giuseppe Gagliardi : SKY Italia a donné la possibilité aux talents d’avoir leur propre vision. Et si l’on regarde l’état du marché, en Italie en particulier, elle fait partie de celles qui offrent la plus grande liberté. C’est vrai qu’en échange, il faut toujours maintenir un dialogue, mais elle existe. Nous avons vraiment bâti un groupe de travail : à travers les projets comme 1992 et ses suites, mais aussi avec les producteurs de The Apartment et Lorenzo Miele, et l’ensemble d’acteurs. Cela nous permet de nous sentir protégés, ce qui est un privilège à l’heure où il y a tellement de productions et diffusions de séries.
Est-ce que Il Re se base sur une œuvre, des faits réels, ou est-ce une fiction totalement originale ?
G.G. : Non, elle n’est tirée ni de faits réels, ni d’un roman.
Luca, comment êtes-vous arrivé sur ce projet ? Est-ce que vous connaissiez déjà les producteurs et créateurs ? Et avez-vous créé ce rôle de Bruno avec eux ?
Luca Zingaretti : Il Re est né d’une idée que j’ai apporté aux producteurs il y a cinq ans. Entretemps, avec la pandémie, elle est devenue quelque chose d’autre. Giuseppe, les producteurs et moi travaillions de concert et avons pris beaucoup de temps car nous souhaitions que l’histoire puisse illustrer ce que nous avions en tête : une prison encadrée par un homme qui a perdu la direction de sa vie. Il avait une mission qui s’est muée en obsession. Et la production a été interrompue pendant un mois par la suite car j’ai contracté le COVID.
Cette série vous permet de jouer un personnage à contre-emploi et aussi de jouer avec les attentes du public : il vous connaît dans le rôle d’un commissaire très droit dans ses bottes, et vous découvre avec une composition comme directeur de prison très complexe, assez amorale…
L.Z. : Je faisais Commissaire Montalbano car je m’amusais beaucoup, et cela a été une cavalcade de succès, d’autant plus que la série a été vue à travers le monde. L’épisode final a fait près de 50% de parts de marché en Italie ! On a vraiment fait des choses incroyables. Pendant toute cette période, je travaillais sur d’autres projets entre deux téléfilms : au cinéma, à la télé, au théâtre. Quand j’ai dit que je cesserais d’incarner le personnage car l’écrivain à l’origine des livres était mort, tout comme le réalisateur historique, je cherchais déjà un projet qui me donne l’occasion d’incarner quelque chose de plus réaliste. Commissaire Montalbano n’est pas authentique : c’est un prétexte qui sert à son auteur pour raconter sa vision de la vie. Et, comme beaucoup d’autres comédiens, je cherchais aussi un personnage plein de conflits, de zones d’ombre, etc.
Vous êtes crédité en tant que producteur exécutif, ce qui signifie beaucoup d’implications différentes pour les comédiens suivant les pays (aux États-Unis par exemple, un crédit de producteur pour la star offre plus de retombées financières pour la série sans pour autant s’impliquer plus créativement, ndr). Quelle a été votre implication sur le tournage, une fois la série en production, et sur la post-production ?
L.Z. : Je ne suis plus seulement acteur depuis quelques années : j’ai réalisé trois épisodes de Commissaire Montalbano. J’écris également mon premier film, que j’entends aussi réaliser. Et avec ma femme, on a aussi réfléchi à des choses que j’aimerais faire, pour les proposer à des producteurs. Avec The King, j’ai travaillé à l’idée, un peu sur le scénario avant de passer la main au réalisateur…
G.G. : Et ce fut une collaboration très féconde ! (rires)
The King est une série carcérale avec un soin particulier apporté à la réalisation. La prison est représentée comme un château, où le directeur est roi en sa demeure et les gardiens sont sa cour, faisant des prisonniers les sujets. En termes de préparatifs et d’aménagement de plateau, quelle est la touche singulière que vous avez apporté au projet ?
G.G. : Le choix de la forteresse à l’image montre la force de ce roi face à la mer (la prison est située en bord de mer, ndr). Nous avons eu recours à deux prisons pour le tournage : une à Trieste, l’autre à Turin. A Trieste, située face à l’océan, c’était aussi intéressant de montrer que c’était une ville frontière avec le pays. C’est un endroit de rencontres, de cultures, et on découvre lors des épisodes suivants la place grandissante de ces conflits culturels.
L.Z. : Il y a aussi cette métaphore d’un conflit qu’il y a dans l’Europe d’aujourd’hui, qui est intériorisé dans cette prison.
G.G. : Le scénario prévoit la présence de ces différentes ethnies, et on s’est beaucoup basé sur ces concepts de vérité : pour le casting, nous avons cherché dans les rues de Rome les personnes qu’il fallait. Il y a beaucoup de musulmans pratiquants dans la série, et l’authenticité est importante pour avoir un regard précis et une vision qui ne soit pas strictement occidentale.
Il y a relativement peu de scènes se passant à l’extérieur de la prison, où l’on montre Bruno dans sa vie privée, plutôt distant avec sa famille, avec sa fille… Comment est-ce que cela informe la complexité de ce personnage principal ?
L.Z. : Bruno est un homme qui a perdu sa vie et à travers son obsession, il a aussi perdu sa famille : ils sont séparés. C’est un homme qui a tué sa famille. Quand tu passes tout ton temps dans un travail aussi violent, et que tu assures ce rôle de directeur de prison de cette manière, le fait que la vie privée soit sacrifiée est inévitable. Le côté personnel est important, car Bruno n’est pas quelqu’un de mauvais, juste quelqu’un de perdu. Je l’associe souvent au colonel Kurtz dans Apocalypse Now. C’est un haut gradé de l’armée américaine qui connaît son rôle, voit beaucoup d’horreurs et fait beaucoup d’erreurs. A la fin, il n’est plus trop lui-même.
G.G. : Luca a donné cette nuance, qui permettait de passer d’intrigues familiales, intimes et privées, vers une trame uniquement intra-carcérale. Pour un acteur, c’est délicat de restituer la fragilité du personnage envers sa famille, je l’ai donc laissé faire et me suis contenté de tourner.
Créée par Giuseppe Gagliardi. Avec Luca Zingaretti, Isabella Ragonese, Anna Bonaiuto… Italie. 8 Épisodes x 60 Minutes. Genre : Drame. Cette série n’a pas encore de diffuseur français.
Crédits Photo : © Andrea Pirrello.