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Rencontre avec le créateur Niccolò Ammaniti et l’actrice Giulia Dragotto de la série « Anna »

Cet article a été initialement publié le 29 Novembre 2021 à l’occasion de la présentation de la série à Séries Mania. Il est réédité sous sa version originale pour la sortie de la série sur Disney +.

Pour l’édition 2021 de Séries Mania, un créateur faisait sa seconde apparition lilloise : l’Italien Niccolò Ammaniti, également aux manettes de Il Miracolo, qui était en compétition en 2018. Contrairement à sa prédécesseure, Anna a un point de départ beaucoup plus baroque : des enfants italiens livrés à eux-mêmes suite à la disparition des adultes sur Terre, victimes d’un virus impitoyable. Anna va devoir grandir et survivre au sein d’une société vivant sur les restes du monde laissé par les grandes personnes. Le projet, coproduit par SKY Italia, Wildside, la société française Kwaï et Arte France, offre une lecture rafraîchissante du genre très éculé des séries post-apocalyptiques en dépeignant des personnages de moins de 14 ans, explorant ses thèmes à hauteur d’enfant et dérivant souvent dans l’onirisme de manière inattendue.

Interview réalisée à Séries Mania Lille 2021 dans le cadre d’une rencontre groupée avec Sarah Barbier (City Presse) et Julie Vincent (Lubiie en Série). Une partie des questions a été condensée et clarifiée pour une lecture plus fluide.

Comment avez-vous eu l’idée d’adapter Anna ?

Niccolò Ammaniti : Au début, pour ma précédente série Il Miracolo, je pensais écrire un roman, et le choix d’une série s’est fait au désir de voir le sang, qui est plus intéressant à représenter à l’écran que dans un livre. Le roman Anna est un monde à part entière avec ses propres règles : il y avait la possibilité de l’étendre et d’ajouter des histoires, des images, et c’est ce que la série me donnait l’occasion de faire. Ce projet, comme pas mal d’histoires, est né d’événements qui me sont arrivé : j’étais en Grèce, sur une plage où il n’y avait pas d’adultes, mais une cinquantaine d’enfants. Chacun d’entre eux avait un rôle, je les ai observé et je me suis demandé ce qu’ils feraient s’il n’y avait plus personne à la maison, s’ils n’avaient pas d’encadrement. Quelles seraient les règles ? Et quand on se pose autant de questions, c’est qu’on peut commencer à écrire une histoire.

Toute la série a été écrite avant la pandémie et le tournage a été interrompu en mars 2020. Est-ce que ça a conduit à faire des choix en post-production, réduire les flashbacks avec les adultes qui tombent malades par exemple, qui pourraient parasiter l’expérience du public qui, pour certains, ont perdu des proches à cause du virus ?

C’est sûr que l’on s’est posé toutes ces questions, mais on a décidé de ne rien changer. Pendant le confinement, on a juste décidé de passer de huit épisodes à six, et j’ai tout monté et reconstruit. 

Une de vos inspirations est Sa Majesté des Mouches, roman adapté plusieurs fois pour la télévision et le cinéma. Aviez-vous une idée précise de l’aspect visuel de la série lorsque vous avez proposé ce projet à SKY Italia et Arte?

N.A. : Ma première idée était de me concentrer sur les lieux en Italie. Quand on pense aux œuvres post-apocalyptiques, on pense à des endroits obscurs et froids comme dans The Road (John Hillcoat, 2009), alors que je voulais utiliser le soleil, la mer et la lumière. Je voulais travailler sur ce concept d’opposition entre l’intérieur sombre et l’extérieur lumineux. C’est dans cet esprit que j’ai décidé de tourner ma série en Sicile. 

Comment s’est déroulé le casting et la distribution des rôles ?

N.A. : J’ai vu beaucoup d’enfants pendant le casting ; je pense avoir vu tous les enfants comédiens de Sicile ! On en a cherché partout : dans les écoles, dans les gymnases… Le rôle d’Anna a été plus difficile, car il a beaucoup de facettes ; elle est enfant puis devient mère, veuve, épouse… On a fait beaucoup de tests, et la première audition avec Julia n’était pas très bonne, mais c’est plus de ma faute que de la sienne. J’ai eu ceci dit une bonne impression et elle était dans mon esprit jusqu’au jour où je l’ai rappelé. Le garçon qui joue Astor est très spécial, c’est un comédien incroyable (Alessandro Pecorella, ndr), et il s’intéressait beaucoup à la réalisation sur le tournage, aux objectifs qu’on utilisait, au champ ; il savait où il fallait se placer ou se replacer selon l’angle, il est très aimé par toute la troupe, et je dois dire que ces enfants sont des grands professionnels. 

Anna est tournée en format 2.40. Qu’est-ce qui vous a poussé à ce choix, et comment avez-vous travaillé avec le chef opérateur Gogò Bianchi, vous qui aviez une idée très précise sur les visuels et les repérages en Sicile ?

J’ai choisi d’utiliser des lentilles anamorphiques. Et c’est quelque chose de difficile à mettre en place, surtout avec les enfants qui bougent tout le temps. Pour Il Miracolo, je me suis beaucoup fié au chef opérateur, qui m’a imposé des règles très strictes qu’il était impossible de modifier. Pour Anna, j’ai décidé de choisir le chef opérateur moi-même ; et je n’ai plus senti cette partie-là comme un dogme. 

Dans le premier épisode, Anna, âgée de 8 ans, chemine à travers une église vide. L’Église et la foi étaient des thèmes prédominants de votre précédente série. Les enfants veulent honorer leurs morts et leurs familles à travers des sortes de rites : on voit un squelette avec des diamants incrustés, des sépultures… Pendant l’écriture du roman et de la série, vous avez essayé d’avoir une représentation fidèle du rapport de l’enfance au deuil…

Ce rapport est extrêmement intéressant, car la mort n’est que biologique, liée à la décomposition du corps. Dans le dernier épisode, Anna assiste à la décomposition du corps de sa mère, que la série met en parallèle avec les enfants qui grandissent : cela rend la mort moins dramatique. Mais les enfants ne comprennent pas la mort, parce que c’est quelque chose de trop lointain. Et j’ai lu des études qui disent que tout le questionnement de l’au-delà ne se pose qu’à l’adolescence. C’est un peu comme si cette période était propice à ces questionnements. 

Comment avez-vous envisagé l’environnement de la forêt, et est-ce un défi pour vous, Giulia Dragotto, de vous y adapter ?

Giulia Dragotto : Le tournage a commencé en juin 2019, mais on a vraiment commencé à tourner les scènes avec nos personnages en octobre 2019. Le premier jour, je portais des shorts et c’était particulier parce qu’on tournait dans la boue, avec des insectes… Mais j’ai toujours aimé la forêt, les balades avec mon père, les petites rivières…

N.A. : La première scène qu’on a tourné avec le personnage d’Astor, il était couvert de boue. Et elle était tiède au début, puis elle s’est refroidie. Il avait un petit micro et on pouvait l’entendre parler tout seul, s’écrier : « Pourquoi j’ai fait ça, je ne veux pas devenir acteur ? » Et puis on a vu qu’il a su s’adapter, et que les enfants sont capables de devenir professionnels rapidement.

Est-ce qu’après Anna, vous avez envie de faire d’autres séries, cette fois-ci avec plus d’une saison ?

N.A. : Je ne pense pas que je ferai à nouveau des séries car je n’en ai pas la force. Anna était un projet physiquement très éprouvant, avec huit mois de tournage. Quelquefois, je ne sentais plus mon corps, je n’arrivais pas à dormir, et vers la fin, mon état de santé était catastrophique. Je pense que je ferai un film, car le rythme de tournage est plus souple que sur une série.

Créée par Niccolò Ammaniti. Avec Giulia Dragotto, Alessandro Pecorella, Elena Lietti… Italie, France, États-Unis. 6 Épisodes x 52 minutes. Genres : Drame, Science-fiction. En rattrapage sur le site d’Arte.tv jusqu’au 10 décembre, également disponible en VOD et DVD (Arte Editions). Disponible sur Disney+ le 11 Mai 2022. Le roman dont est tirée la série est disponible en Livre de Poche. 

Crédits Photo : © FR_tmdb.

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