AFRICA MIA : le destin des hommes
Ça avait fini par ressembler à un mirage… Depuis des années, les rues de Bamako bruissent de rumeurs sur l’existence d’une quête longue de 18 ans menée par Richard Minier pour retrouver les membres de Las Maravillas de Mali, le célébrissime (et premier) groupe afro-cubain de l’histoire. L’attente est désormais terminée: Africa Mia est un documentaire à voir absolument pour son histoire unique.
Tout commence donc à l’Hôtel de l’Amitié. On a l’impression que cet endroit érigé à quelques encablures du fleuve Niger est capable de tous les miracles. Richard Minier, coréalisateur du film et producteur de musique, raconte une formidable genèse qui l’a mené un peu partout dans le monde grâce à la nuit de Bamako capable de tous les miracles. Tout se passe dans un maquis (l’équivalent des bars français en Afrique de l’Ouest) de la capitale malienne à l’aube de l’An 2000. Les images de qualité moyenne montrent que nous sommes dans une époque révolue. Un petit concert se produit avec un orchestre qui se débrouille plutôt bien. Le réalisateur semble étonné par la qualité de la musique jouée. Un flûtiste en particulier tape dans l’œil de Richard Minier. Son âge avancé n’empêche pas de captiver le regard du réalisateur. L’attention de Minier est portée exclusivement sur ce flûtiste. Par son attitude, il a la sensation que ce petit homme frêle s’exprime d’une autre manière que les autres musiciens présents sur la scène. Une manière plus latine, plus cubaine pour être précis. Cette rencontre fortuite est le début d’une aventure de 18 ans qui va se terminer à La Havane.
Ce que Minier pressentait se confirme à travers une histoire hallucinante. Dramane Coulibaly est le flûtiste de Las Maravillas de Mali. Pour un Français débarquant au Mali, impossible de saisir au premier abord l’importance de ce groupe pourtant crucial dans l’histoire de la musique en Afrique de l’Ouest et chose plus surprenante à Cuba aussi. Composé de 10 musiciens, ce big band a marqué la musique latine en devenant le premier groupe africain-cubain de l’histoire. Sans le savoir, Richard Minier va basculer dans un autre monde. A travers les histoires documentées de Dramane et plus tard des autres membres du groupe, il va voyager dans l’histoire politique et sociale du Mali. De l’indépendance jusqu’à la dictature qui a tout emporté sur son passage.
UN BOUT D’HISTOIRE DE L’AFRIQUE
Ce conte de fée à peine croyable prend forme au début des années 60. Cette période si propice à la liberté a permis à presque toutes les anciennes colonies françaises de l’Afrique subsaharienne d’avoir leur indépendance (en apparence). Cette liberté nouvelle se ressent avec l’arrivée de Modibo Keïta au pouvoir, tiers-mondiste et panafricaniste jusqu’à la moelle. Ce qui lui permet de créer des liens forts et durables avec d’autres pays partageant les mêmes aspirations. Ce souhait de changement se ressent un peu partout dans le monde et permet de créer des ponts entre peuples opprimés. Ces initiatives vont permettre à des musiciens inconnus de vivre l’impensable. Quitter le continent africain pour apprendre la musique avec les pontes de la musique afro-cubaine à La Havane, nourris et logés par le gouvernement cubain.
Aujourd’hui, cet événement insolite serait qualifié de banal mais pour le début des années 60, cet accord entre Fidel Castro et Modibo Keïta est unique. Les balbutiements du Mali, jeune république, encore hagarde, se transforment en opportunité pour prouver et promouvoir la grandeur du peuple malien. Cet accord bilatéral va également changer la vie d’hommes qui ne se voyaient pas quitter leur pays de sitôt. Le président malien a parfaitement conscience que cette chance pour les futurs Las Maravillas De Mali peut permettre au pays de briller à l’international. Il est certain que les retombées seront bénéfiques pour tout le monde. Ce voyage long de plusieurs années va permettre de connaître des histoires incroyables à Cuba. Bien sûr les femmes, la gloire et l’alcool… Mais c’est la manière dont ces vieux hommes abîmés par le temps nous content leur épopée avec passion, et fierté, qui est particulièrement touchante. Ce groupe est en effet composé de personnages hauts en couleur qui nous marquent par leur simplicité (à l’image du bouleversant Moustapha Sako). Le leader du groupe entre en scène en dernier. Et le documentaire bascule lorsque le réalisateur décide d’aller à la rencontre du grand Boncana Maïga. Celui qui a su faire carrière après cette aventure de plus de 10 ans. Star incontestée dans son pays natal et prolifique producteur de musique. Richard Minier piaffait d’impatience de le rencontrer mais il a été frappé par la froideur de l’auteur du célèbre Marietou. Cette attitude surprenante aux premiers abords va pousser le réalisateur perspicace à creuser pour déterrer des histoires qui n’avaient toujours pas été réglées des décennies après.
RENDEZ-VOUS CE SOIR A LA HAVANA!
Petit à petit, ces portraits se transforment en nouvel objectif: réunir les membres de Las Maravillas De Mali pour un concert souvenir. A ce moment-là, le producteur français n’a pas conscience de la difficulté de la tâche. Il lui faudra plus que de l’huile de coude pour mener à bien cette mission. Le film nous permet d’explorer cette mission à travers plusieurs voyages simultanés qui s’entrechoquent jusqu’à ne faire qu’un. Richard Minier, armé de photos d’archives et des précieux témoignages des protagonistes nous donne à voir l’incroyable succès de ce groupe et plus fort, leurs rencontres insolites avec des personnages historiques. Quand on parle du Cuba des années 60, la collision avec des personnalités marquantes est en effet inévitable. Qui aurait cru possible que des Maliens débarquant de villes comme Ségou ou Gao allaient devenir les sensations de la musique afro-cubaine à des milliers de kilomètres de leur terre natale? Devenir l’un des premiers groupes africains à s’exporter hors du continent?
On a comme l’impression que Africa Mia est là surtout pour réaliser l’inimaginable. L’abnégation remarquable du producteur français permet de s’intéresser à cette histoire méconnue du grand public mais aussi de créer des liens avec ces vieillards méfiants qui deviennent, sous l’œil de la caméra et avec le temps, bienveillants, en fendant petit à petit l’armure. L’autre voyage se suit via les histoires passionnantes vécues dans la Tierra Caliente. De leur arrivée rocambolesque à leur “vie de rêve” teintée de préjugés racistes de la part des Cubains, étonnés de voir débarquer des Africains tiré à quatre épingles dans leur île. Il est passionnant de suivre cette rencontre entre deux peuples qui se ressemblent à s’y méprendre culturellement et physiquement. Ce n’est pas pour rien que les musiciens qui composent Las Maravillas De Mali se sont acclimatés avec une rapidité déconcertante aux us et coutumes des locaux. Il est de plus essentiel de parler de la place des femmes chez ces étudiants devenus des hommes en quittant leur pays natal. Derrière ces rencontres inévitables, des liens éternels se sont créées. Cette parenthèse enchantée vécue à Cuba aura une suite avec des destins chamboulés par les sentiments et les choix de vie de chacun.
Africa Mia est définitivement une œuvre de symboles. Ce documentaire est essentiel pour comprendre la grandeur d’un pays qui plaçait la culture comme sujet central de la politique internationale. Ce rêve éveillé prendra fin avec l’arrivée de la dictature au pouvoir et poussera Boncana Maïga, dépité par les décisions de son pays, à vivre chez le voisin ivoirien où il sera accueilli à bras ouverts. Par ailleurs, l’histoire de Cuba et du Mali est semblable sur plusieurs points que Richard Minier expose (involontairement?) dans son documentaire. Il est touchant de voir Boncana Maïga se promenant dans les rues de la Havane bloquées dans le temps avec un habit traditionnel songhaï (ethnie originaire du nord du Mali), aussi à l’aise dans la capitale cubaine qui lui a tout donné qu’à Gao, sa ville natale. Ce documentaire est à voir absolument pour se rendre compte que les peuples ballottés par l’horreur de la traite négrière n’ont pas oublié leurs racines et le montrent symboliquement en ayant permis l’émergence d’un groupe africain venu tout droit du Mali, qui est devenu l’un des porte-drapeaux de la musique cubaine avec cette impression tenace. Cette alliance naturelle était une évidence dès le départ et tout au long de ces merveilleuses 10 années d’exil.
Africa Mia. Réalisé par Richard Minier, Edouard Salier. Avec Boncana Maïga… France. 01h18. Genre : Documentaire. Distributeur : New Story. Sortie : 16 septembre 2020.
Sortie conjointe du disque chez Decca Records le 11 septembre en vinyle et digital
Exposition à la Feel good galerie : 24 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. 75004 Paris. Du 10 septembre au 10 octobre 2020.
Crédits illustration : © Léo Leccia / Crédits photo : © New Story