Sœurs d’Armes : la guerre des femmes
2015. Alors que la France fait face à une vague d’attentats, la guerre fait rage sur le territoire de Daesh, à cheval entre la Syrie et l’Iraq. La coalition internationale se bat aux côtés des combattantes kurdes pour anéantir l’organisation terroriste. Sœurs d’Armes suit le parcours d’une division internationale des Forces Spéciales kurdes, la Brigade du Serpent. Celle-ci se compose de femmes issues de cultures différentes mais profondément unies, qui par leur force et leur efficacité redoutable inspirent la peur chez leurs ennemis.
Le nouveau film de Caroline Fourest résonne comme un hymne international à la gloire du féminisme et de l’engagement. Si le portrait de Rosa Luxembourg accroché dans le dortoir ou la mélodie de Bella Ciao – hymne de résistance italienne – pourraient être des références grossières, la puissante sororité qui unit les personnages principaux donne le ton du film : ces sœurs sont avant tout des guerrières, prêtes à se sacrifier pour vaincre leurs oppresseurs. Ici, Caroline Fourest donne une image romantique de cette guerre à travers des femmes qui s’engagent très (trop ?) facilement dans un combat aux dimensions internationales : la prise de position féministe est affirmée dès le départ et sera développée tout au long du récit. Les soldats de Daesh sont présentés comme des tyrans qui persécutent les femmes et les populations qu’ils jugent inférieures. Ainsi, par l’air de Bella Ciao, popularisé lors de la Seconde Guerre Mondiale, Fourest inscrit le combat de la brigade dans la Grande Histoire des luttes contre la tyrannie.
Un combat international
La Brigade du Serpent, groupe que nous suivons tout au long du film, se compose de plusieurs femmes aux parcours hétéroclites, ainsi qu’aux nationalités et croyances différentes. Yaël et Kenza, deux nouvelles recrues françaises, arrivent sur le camp d’entraînement, la fleur au fusil. Accueillies par les filles de la Brigade, leurs idées naïves de la guerre et de la vie en camp militaire se heurtent rapidement à la réalité du terrain.
Elles parviennent néanmoins à s’intégrer et sauver les rescapés de cette dictature, comme Zara. Personnage central de l’histoire, Zara est une jeune Yézidie, dont le village est tombé aux mains de Daesh : son père exécuté, séparée de sa mère, elle reste avec son petit frère qui finit par lui être arraché quand sa virginité est constatée. Vendue aux enchères, elle est achetée comme esclave sexuelle par un lieutenant de Daesh, El Britani. Il est important de noter que Caroline Fourest a représenté des Européens dans les rangs de Daesh (El Britani est anglais, son beau-frère El Tounsi franco-tunisien) pour illustrer l’internationalité de ce combat dans les deux camps.
Se réapproprier la violence
Soeurs d’Armes ne lésine pas sur la violence explicite : entre l’exécution des hommes du village yézidi, l’immolation d’un condamné à laquelle Zara assiste, les viols qu’elle subit, les combats entre les Forces Spéciales kurdes et Daesh, Caroline Fourest dépeint la cruauté d’une guerre qu’on ne connaît que partiellement. On y découvre notamment l’engagement des femmes kurdes comme la Commandante de la Brigade ou bien le massacre des Yézidies et l’esclavage des femmes de ce peuple, considéré comme impur par Daesh. Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est surtout la violence faites aux femmes, à leurs corps, utilisés comme trophée ou arme de guerre.
Victimes de la brutalité masculine des djihadistes qui les possèdent ou cherchent à les posséder, les femmes de la Brigade du Serpent arrivent à tromper leur ennemi et savent paraître faibles pour mieux frapper. En effet, s’ils sont effrayés face à elles, ce n’est pas seulement parce qu’elles savent aussi bien manier les armes qu’eux, mais c’est surtout parce qu’ils craignent qu’être tués par la main d’une femme ne les prive du Paradis et des 72 vierges qu’on leur a promis. Mourir de la main d’une femme devient une véritable angoisse et la manière d’exécuter est alors plus terrible que l’exécution elle-même.
Une réalisation léchée…
En parallèle de cette violence au réalisme poussé, la réalisation offre une esthétique chargée en symboles. Au moment où Zara est violée pour la première fois par El Britani, l’épouse de ce dernier fait la vaisselle dans la pièce d’à côté : la perte de la virginité de la jeune esclave est symbolisée par une goutte de sang tombant dans l’eau savonneuse. Caroline Fourest cherche à sublimer ces femmes guerrières, à rendre hommage à ces combattantes réelles mais anonymes : leur engagement et leur courage font d’elles des archanges en armure, prêtes à défendre la veuve et l’orphelin contre l’oppresseur.
Lors du combat final, lorsque Zara désarme le kamikaze, la lumière souligne sa douceur : sans utiliser d’arme, elle parvient à vaincre la propagande djihadiste ancrée dans l’esprit de l’enfant-soldat. Cette volonté de dépeindre des soldates en guerrières quasi mythologiques montre combien, dans l’esprit de la réalisatrice, leur combat est historique et héroïque. Ces femmes deviennent les visages iconiques d’une lutte admirable : la libération d’une région et de son peuple réduit en esclavage.
Le dynamisme n’est cependant pas laissé pour compte au profit de l’esthétisme : les plans d’entraînement sous forme de clip show au début du film ou les combats – qui ne sont jamais brouillons ou surcutés – permettent au film de ne pas tomber dans le pathos mou et gluant qu’on pourrait craindre.
… mais des paresses scénaristiques
Pour autant, on relève de nombreuses facilités scénaristiques, notamment autour de Zara. Si le début de son histoire correspond aux récits des survivantes yézidies, son évasion est grandement facilitée par le scénario : entre un téléphone et une boîte de somnifères qui tombent entre ses mains par des concours de circonstances, la liberté de mouvements qu’on lui laisse sans aucune surveillance, la facilité qu’elle a à communiquer avec l’extérieur sans souci de réseau téléphonique, ou bien la Brigade du Serpent qui la sauve alors qu’elle était sur le point d’être rattrapée… les ficelles sont un peu grosses. De même, Yaël et Kenza, à peine arrivées et après quelques rapides entraînements où elles ne brillent pas par leurs capacités physiques, sont pourtant très vite intégrées à la Brigade, censée être les Forces Spéciales kurdes, soit une unité d’élite, qui ne s’encombrerait pas de deux jeunes Françaises maladroites et peu sportives. Pour un film qui met un fort accent sur le réalisme et sur une volonté de reconstitution fidèle des combats, on peut déplorer ce genre de complaisance.
Sœurs d’Armes réussit néanmoins avec brio à représenter une partie très méconnue d’une guerre qui alimente beaucoup de croyances et d’idées reçues. Les différents parcours de ces femmes permettent une multiplicité de points de vue sur un conflit extrêmement complexe : le film ne se permet pas cependant de donner des réponses sur une potentielle résolution, et c’est appréciable. On évite ainsi l’écueil du white savior donneur de leçons sur un sujet qu’il maîtrise mal mais sur lequel il se pense légitime.
… et du romantisme à la pelle
Pour autant, le film se construit autour d’une contradiction : d’un côté, la volonté de filmer une réalité de terrain endurée par les femmes kurdes et yézidies, de l’autre, une romantisation à outrance de ces héroïnes. Caroline Fourest cherche clairement à réaliser un film militant, dans la lignée de ses prises de position féministes. Cependant, l’excès de romantisation finit par desservir le propos et le final s’achève maladroitement, oscillant entre espoir et pathos larmoyant.
Néanmoins, la force de cette Brigade est son internationalité – françaises, italiennes, américaines, kurdes – et sa pluralité de cultes puisque cohabitent ensemble chrétiennes, juives, musulmanes et yézidies dans une bienveillance et une sororité absolue. Finalement, Sœurs d’Armes préfère se placer du point de vue des femmes, victimes ou guerrières, pour parler de leur guerre à elles.
En Une : © Metropolitan Filmexport
Sœurs d’Armes. Un film de Caroline Fourest. Avec : Dilan Gwyn, Amira Casar, Camélia Jordana, Esther Garrel… France. Drame. Durée : 1h5. Distributeur : Metropolitan Filmexport. Sortie le 9 octobre 2019.
One Comment
Cécile
Brillante critique qui donne envie d’al’aller voir le film au cinéma. Bravo !