Dominik Moll nous parle de la série « Eden », fresque consacrée aux migrants en Europe
Présentée en compétition à Séries Mania 2019 et programmée quelques semaines avant les élections européennes, Eden est une fiction sociale pas comme les autres, montrant les tenants et aboutissants de l’accueil des migrants en Europe. De la fuite en avant d’Amare, immigrant nigérien (Joshua Edoze) à l’accueil de réfugiés politiques syriens demandant l’asile politique, en passant par l’incendie d’un camp de migrants grec développé par Hélène (Sylvie Testud) qui défend un projet privé de gestion des réfugiés… Tout est interconnecté. Alors que les trois derniers épisodes ont été diffusés jeudi dernier sur Arte, on a rencontré Dominik Moll, architecte derrière la caméra de cet ambitieux projet.
Eden est une grosse coproduction franco-allemande, avec des diffuseurs comme ZDF. Il y a une vieille martingale autour de ce type de projets avec autant d’acteurs : c’est un “Europudding”, où finalement le résultat relève du compromis entre les volontés différentes de coproducteurs. Pourtant, Eden semble un projet à la fois dense et très cohérent. Comment avez-vous fait pour assurer la cohésion de ce projet ?
Dominik Moll : Le terme “Europudding” est beaucoup plus vieux que ça. A une époque pour le cinéma, il fallait, même si c’était une histoire française, qu’il y ait des acteurs italiens, des acteurs allemands… Tout était doublé dans une langue commune et ça ne ressemblait à rien. La différence, pour Eden, c’est que dès le départ, pour les diffuseurs et les producteurs, il y a une volonté d’avoir une multiplicité de langues et de regards sur ce sujet. On va pas essayer de recréer la Grèce en Allemagne ou en studio… Tout le monde est d’accord sur la volonté d’apporter de l’authenticité à ce projet, même si des versions entièrement doublées en allemand ou en grec vont exister. Pour moi, la véritable version, c’est la version originale où 6 langues sont parlées. Quand on m’a proposé de reprendre le projet, j’étais en cours d’écriture sur une adaptation du livre de Colin Niel, Seules Les Bêtes, que j’ai tournée en début d’année entre la Lozère et la Côte d’Ivoire. Eden était déjà en cours de développement depuis deux ans. J’hésitais : c’était un projet à la fois compliqué et passionnant, il fallait être à la hauteur. Tout au long de ces étapes, cette volonté de cohérence artistique ne s’est jamais effritée, et je n’ai jamais eu à me bagarrer pour faire respecter ces choses-là.
Ce qui revient beaucoup dans Eden, c’est que les personnages cherchent, non seulement un sentiment d’appartenance, mais aussi un chez-soi. Quelque part, on dit que les migrants ne viennent pas en Occident avec une velléité de piquer un travail, ou de « remplacer » des civilisations, mais uniquement pour trouver un chez-soi, un petit coin de paradis qu’on leur refuse ou qu’on leur rend difficile d’accès. Est-ce que c’est une des idées maîtresses de la série ?
Les personnages de réfugiés sont à la recherche de leur place. Quand on arrive dans un pays, pour fuir la misère, comment trouve-t-on sa place dans ce nouveau pays ? Quelle place les personnes déjà dans ce pays vont-elles donner à ces réfugiés ? Les réfugiés, notamment syriens, ne viennent pas en Europe parce qu’ils pensent que ça va être génial, mais pour sauver leur peau et avoir un endroit où vivre en sécurité, tout bêtement. Pour moi, c’est important de montrer ça à travers ces destins individuels : il n’y a pas de horde anonyme qui vient envahir l’Europe.
Cette idée, j’ai l’impression de la retrouver dans la séquence d’ouverture, avec des vacanciers tranquilles sur une plage, en train de voir, médusés, des zodiaques de migrants débarquer à quelques mètres d’eux… Est-ce que c’est un symbole de ces mouvements migratoires que l’on regarde un peu en chiens de faïence ?
La séquence d’ouverture m’est inspirée d’une vidéo amateur qu’on a trouvé sur Internet et quasiment reconstituée, qui n’a pas été filmée sur une île grecque mais à Cadiz au sud de l’Espagne. Ce qui me plaisait, c’est que dans ces images, il y avait de la sidération et de l’étrange, comme si on ne comprenait pas très bien ce qui se passait et que les touristes étaient dépassés. Cette image résumait bien la situation : un moment surréaliste.
Il y a 5 ou 6 intrigues principales qui se regroupent sur 6 épisodes, une fresque d’envergure qui n’est pas sans rappeler Cannabis, diffusée en 2017. A quel point est-ce difficile de rentrer autant de points de vue et de propos sur une si courte durée ? Est-ce que ça s’est avéré un casse-tête ?
Ce qui a été le plus difficile, c’est que l’on disposait de très peu de temps pour écrire les épisodes. Quand je suis arrivé, on avait des ébauches pour les 3 premiers épisodes. On les a repris de zéro en gardant l’idée des 5 personnages, avec une date de tournage arrêtée. On n’a jamais vraiment eu de vision d’ensemble. On continuait à écrire sur le tournage dans différents pays. C’était un peu chaud par moments, mais au montage tout s’est assemblé de façon organique : on ne s’est pas dit qu’il y avait trop ou pas assez de choses. En tout cas on ne s’est jamais posé la question en termes de propos à inclure, mais on s’est concentré sur la meilleure manière de faire exister les personnages. Celui qui était le plus compliqué, c’était celui d’Hélène (Sylvie Testud) qui était très technique, avec les arcanes européennes, les lobbyistes, les appels d’offre…. Il a fallu assimiler ça et simplifier un peu tous ces rouages politiques et institutionnels afin de pouvoir les restituer au téléspectateur, qu’il ne soit pas trop perdu.
Eden. Intégrale de la série disponible sur le replay d’Arte jusqu’au 31 mai et en DVD le 22 mai.
Photo en Une : Dominik Moll et Joshua Edoze. © Pierre Meursaut /Arte