In My Room : Inégal mais dépaysant
Quatrième long métrage du réalisateur allemand Ulrich Köhler, In My Room faisait partie de la Sélection Un Certain Regard à Cannes en mai dernier. Il s’agit là sans doute du titre de film le plus trompeur de l’année. Si Köhler nous laisse présager le pire en début de film, il parvient à se rattraper largement en milieu de course, et finit même par embarquer le spectateur.
Armin (Hans Löw) vogue d’échecs professionnels en déceptions sentimentales. Il n’est pas vraiment heureux, mais ne peut pas s’imaginer vivre autrement. Un matin, il se réveille, et si le monde semble inchangé, tous les êtres humains se sont volatilisés. Robinson Crusoé des temps modernes, Armin prend alors un nouveau départ. Cette liberté totale lui donne des ailes, mais tout ne se passe pas comme prévu…
Voilà un synopsis qui a le mérite d’être aguicheur. Et quelle étrange sensation lorsque le film démarre : une caméra subjective d’un reporter qui ne sait pas utiliser son matériel (en mode pause lorsqu’il devrait enregistrer, et inversement), tournant du coup des plans ni faits ni à faire qui donnent rapidement la nausée. Lors du visionnage des rushs avec un membre de l’équipe de la chaîne de télévision, Armin – le JRI (Journaliste Reporter d’Images) et héros du film – apparaît enfin à l’image. Teint grisâtre et allure pataude, il a tout d’un looser. Et le réalisateur ne l’épargne pas dans la séquence suivante, une scène dans laquelle une jeune femme, à deux doigts de conclure, plante finalement Armin, en caleçon, dans son studio crasseux. Le titre du film, In My Room, n’a de sens qu’à cette séquence. Il n’y aura plus aucune scène dans une chambre. La suite n’est pas plus reluisante. Armin se rend chez son père au chevet de sa grand-mère mourante, et rien n’est épargné au spectateur : le retour difficile dans sa contrée natale, les repas pesants avec les parents, les scènes aux toilettes, les râles suffocants de la grand-mère… La première partie du film adopte une esthétique réaliste et sans filtre. Cette atmosphère lourde ennuie rapidement le spectateur – s’il a pris connaissance du synopsis avant, il se demande même s’il ne s’est pas trompé de film !
In my Room continue sur ce chemin jusqu’à ce que notre looser aille faire un tour et s’endorme dans la voiture. A son réveil, il se rend compte qu’il n’y a plus aucun être humain aux alentours. Et c’est dès cet instant que Köhler réussit la prouesse de retourner et captiver (enfin) le spectateur – et de lui confirmer aussi qu’il ne s’est pas trompé de film. In My Room se mue alors en film d’aventure, une robinsonnade dans laquelle Armin mute également. Exit l’anti-héros dépeint dans la première partie du film, notre gaillard maladroit se révèle fin chasseur, cultivateur et bricoleur. Libéré des contraintes sociales, il investit une ferme perdue en pleine campagne et renaît en homme nouveau. Et quand le film s’installe dans l’apprentissage lent d’Armin à devenir un être solitaire, une jeune femme, Kirsi (Elena Radonicich), débarque. L’idée de repeupler la planète pour ces Adam et Eve 2.0 effleure rapidement Armin, vous vous en doutez… Il serait dommage de raconter la suite de cette dernière partie, véritable décortication d’un couple en pleine apocalypse, mais elle contient son lot d’émotions et un dénouement invraisemblable, soit, mais qui amène de la poésie au film. Visuellement, on reste dans le naturalisme réaliste ; le changement se fait surtout sentir au niveau du personnage principal et des nombreux plans de motos, voitures et autres rues désertées de toute vie humaine – quant aux animaux, ils sont bels et bien présents. Inégal, mais dépaysant, In My Room a le mérite de faire passer le spectateur d’un réalisme pesant à une aventure post-apocalyptique prenante et presque irrationnelle, en deux heures. Une prouesse qu’il faut souligner, et saluer.
Réalisé par Ulrich Köhler. Avec Hans Löw, Elena Radonicich, Michael Wittenborn… Allemagne, Italie. 02h00. Genres : Drame, Science-fiction. Distributeur : Nour Films. Sortie le 9 Janvier 2019.
Crédits Photo : © Pandora Film.