Ava : Une initiation crépusculaire
Cet article a été initialement publié le 18 Juin 2017 à l’occasion de la sortie en salles du film. Il est réédité sous sa version originale pour la thématique Été & Cinéma 2021.
Diplômée de la Fémis en 2014, Léa Mysius livre un premier long métrage bouleversant relatant le parcours initiatique, à la fois sombre et solaire, d’une jeune adolescente de treize ans. Un film audacieux par son mélange de genres, son casting sans fausse note et son sens aigu de la mise en scène.
Ava (Noée Abita), 13 ans, est en vacances au bord de l’océan quand elle apprend qu’elle va perdre la vue plus vite que prévu. Sa mère (Laure Calamy) décide de faire comme si de rien n’était pour passer le plus bel été de leur vie. Ava affronte le problème à sa manière. Elle vole un grand chien noir qui appartient à un jeune homme en fuite (Juan Cano). Dans la digne lignée d’un jeune cinéma français qui n’a pas peur de se frotter au cinéma de genre(s), Ava mélange plusieurs courants et dépasse ainsi le naturalisme « lambda » des films qui ont pour cadre les vacances estivales en station balnéaire. Le film flirte en effet d’une séquence à l’autre avec le fantastique, le thriller, le « coming of age », avant de se terminer en un road-movie. Léa Mysius déploie dans Ava une multitude de thèmes : l’adolescence, le passage à l’âge adulte, l’éveil du corps, l’initiation à l’amour et à la sexualité, la relation mère/fille ou encore l’acceptation de la maladie. Ava est le film des premières fois : de l’urgence de vivre, de découvrir, de se surpasser et d’aimer avant que le monde ne s’assombrisse complètement. Et c’est dans son personnage principal, Ava, que l’on trouve cette fièvre face à un monde plus que bancal et obscurci : « C’est bientôt la fin de notre civilisation, lis les journaux, regarde autour de toi, tu n’y verras que du noir », lui lance le fils du mono lors de son cours de char à voile. Ava, atteinte d’une maladie dégénérative de la rétine, ne voit progressivement plus la nuit, et son champ de vision se refermera petit à petit avant d’être réduit à un cercle entouré de noir. La jeune fille va donc tout faire pour affronter cette nouvelle. Et cela passe par la découverte de ses autres sens et de leur mise à l’épreuve.
© Bac Films.
La réalisatrice parvient à faire « suinter » la sensualité sur la totalité du film. Le soleil, la mer, le bunker à la façade fendue, la libido de la mère, le désir exacerbé d’Ava pour Juan, la photographie mettant en lumière les peaux des protagonistes, la bande originale solaire… Tout rime avec énergie, liberté et sexualité. La part est laissée belle aux corps, dans ce qu’ils ont d’organique et de frénétique. Avec poésie, Léa Mysius met en scène de jeunes corps nus face aux éléments naturels qui les entourent (eau, sable) et livre une ode à l’éveil de la sexualité. Un éveil qui fait directement écho à la métamorphose d’Ava, de la jeune fille à la femme, de la lumière à l’ombre dans ses grands yeux dévorants. Si Ava signe probablement la naissance d’une jeune cinéaste prometteuse, il révèle également une jeune comédienne : Noée Abita. Avec sa moue boudeuse et son regard perçant et profond, cette non professionnelle se montre aussi énigmatique que magnétique et ce, malgré quelques rarissimes fausses notes (très) facilement pardonnées. Les comédiens gravitant autour d’elle ne sont pas en reste, à commencer par Laure Calamy (Un monde sans femmes, La Contre-allée) qui livre ici l’une de ses prestations les plus mémorables en mère à la sexualité extravertie et sur-jouant la complicité avec sa fille, mais également Juan Cano, bad boy mystérieux et sauvage aux cheveux ébènes. Un film brut, électrisant et sensuel à ne pas rater.
Réalisé par Léa Mysius. Avec Noée Abita, Laure Calamy, Juan Cano… France. 1h45. Genre : Comédie dramatique. Distributeur : Bac Films. Prix SACD, Grand Prix de la Semaine de la Critique, Palm Dog 2017. Sortie le 21 juin 2017.
Crédits Photo : © Bac Films.