Le Règne Animal : Prendre son envol
Ai-je déjà vu un film comme ça ? Cette question, je ne me l’étais pas posée depuis un certain temps. Cela n’est certes pas forcément gage de qualité, mais ça force quelque part une forme de respect et d’originalité. Ces dernières années, le paysage cinématographique français s’est vu greffer de nombreuses propositions de genre : Acide, La Nuée, Le Dernier Voyage jusqu’à la Palme Titane, sans qu’aucune ne fasse l’unanimité. Le Règne Animal pourrait être, je l’espère, cette première exception.
Après une discussion qui tourne à la dispute en plein embouteillage, François (Romain Duris) et son fils de seize ans, Émile (Paul Kircher), se retrouvent confrontés à un acte de violence soudain avec un homme muni d’ailes d’oiseau. Le monde qu’ils connaissent est en train de muter, et ils vont le parcourir (du moins, la France) à la recherche de la mère d’Émile, disparue et en proie à ces transformations. Ils peuvent compter sur Julia (Adèle Exarchopoulos), une jeune policière en manque d’aventure, pour la retrouver.
Doté d’un budget (très) conséquent de seize millions d’euros, le deuxième film de Thomas Cailley a entamé sa carrière par une projection à Cannes en ouverture de la sélection Un Certain Regard. Le réalisateur français, passé par la Fémis, est celui à qui on doit le très remarqué Les Combattants (400 000 entrées et trois César dont celui du Meilleur Premier Film). Huit ans plus tard, et après avoir co-créé une série d’anticipation pour Arte intitulée Ad Vitam (2018), Thomas Cailley revient sur grand écran avec un film mêlant écologie, science-fiction et drame social. Un cocktail classique dans le paysage de genre français, mais qui prévaut ici par sa subtilité et son ambition. Ambition visuelle d’abord, puisque le film choisit de montrer frontalement toute chose de l’ordre du surnaturel sans économiser sur les effets spéciaux. Dans un monde où l’on reproche aux films de genre réalisés en France d’être « français », à savoir de recourir au cache misère pour pallier aux manques de budgets, trop en dessous de nos voisins américains au niveau des effets spéciaux, Le Règne Animal fait ici exception. Malgré une image formatée manquant d’originalité, le film ne lésine pas sur le spectaculaire : les « bêtes », bien sûr, mais également une séquence de course haletante à travers les herbes hautes. On garde également en mémoire l’envol d’un jeune homme, accentué par un effet d’accélération des images par seconde qui donne l’impression d’un événement surnaturel.
Malgré quelques points noirs, l’écriture témoigne d’une aspiration à la hauteur de sa mise en scène. Si Le Règne Animal assume des thèmes communs dans son scénario (le mélange écologie et drame social), cela n’en constitue pas un manque pour autant. Le film aborde ces sujets subtilement sans barrer la route à son intrigue principal, en ne faisant passer par exemple les thèmes éco-anxieux qu’au deuxième plan, privilégiant ainsi les mutations homme/animal. Coécrit avec Pauline Munier, ce deuxième film de Thomas Cailley traite avec justesse la relation d’un père et son fils, notamment dans la métamorphose du corps de ce dernier, à l’âge ingrat où le corps se prépare à devenir celui d’un homme. Le film souffre pourtant d’un essoufflement en son centre, la faute à la sous-intrigue entre Julia et François, puisque son manque de chair tourne vite en rond. Au contraire, on retient la relation amicale entre Émile et Fix (Tom Mercier), un mutant croisé par hasard dans la forêt, plus originale et émouvante dans sa métaphore de l’entraide, de l’acceptation de nouveaux arrivants dans son environnement propre.
Si Paul Kircher est une évidence depuis sa prestation dans Le Lycéen de Christophe Honoré, Romain Duris est particulièrement touchant dans son rôle de paternel plein de maladresses. Leur complémentarité de jeu, de posture, est indéniable. Adèle Exarchopoulos souffre de l’écriture poussive de son personnage mais reste malgré tout convaincante. Mention spéciale à Saadia Bentaïeb en gérante du bistrot du coin qui, par ses quelques phrases, génère un gain de mélancolie au film.
Mélangeant habilement les styles, du film d’aventure à la SF, du drame social à la comédie, Le Règne Animal est un film de genre aux effets spéciaux impressionnants magnifié par la musique enivrante d’Andréa Laszlo de Simone. On est ravis de la recrudescence des films de genre français (l’effet Palme d’Or de Titane ?), mais on se réjouit d’autant plus quand des budgets aussi importants sont mis à la disposition de cinéastes afin de leurs permettre de mettre en image leurs imaginations débridées. On oublie volontiers les bémols scénaristiques pour s’émerveiller devant l’univers grandiloquent dépeint. On ne souhaite que du bien à un projet comme celui-ci, démontrant encore une fois la diversité immense dont jouit le cinéma français tant décrié, et pourtant si important. Ce qui touche dans ce deuxième film de Thomas Cailley, c’est sa capacité à raconter l’intime à travers l’incroyable. Et on en redemande encore.
Un film de Thomas Cailley. Avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos… France. 2h08. Genre : Drame, Aventure. Distributeur : StudioCanal. En Compétition dans la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023. Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs. Sortie le 4 octobre 2023.
Crédits Photo : © 2023 NORD-OUEST FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 2 CINÉMA – ARTÉMIS PRODUCTIONS.
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Bot
Super critique. Je n’ai pas l’impression que le cinéma français soit décrié. Je me réjouis de sa diversité.