Cannes 2023 #6 I Anatomie d’une Chute : Regardez l’homme tomber
Au pied d’un chalet, Samuel est retrouvé mort après être vraisemblablement tombé du dernier étage. Seule témoin sur les lieux au moment des faits, sa femme Sandra est accusée du meurtre alors que sa défense avance la thèse du suicide. L’enquête puis le procès qui suivent tenteront de disséquer non seulement cette ultime chute, mais toutes celles qui ont eu lieu auparavant.
Dans cette histoire, les chutes sont multiples, plus ou moins importantes mais tout sauf anodines. L’importance de la première, que l’on découvre au début du film, n’est a priori pas capitale. Une balle de tennis lâchée dans un escalier descend les marches avant de finir sa course dans la gueule de Snoop, le chien qui accompagne Daniel, l’enfant malvoyant du couple. La deuxième chute est celle dudit couple dont on comprend le délitement progressif. Sandra est une autrice à succès et Samuel, un homme accablé par son propre échec littéraire. Puis vient la chute de ce dernier, fatale, depuis le balcon du troisième étage, et enfin celle qui prend fin au terme d’un procès forcément déstabilisant. L’enjeu du film est de savoir si cette crise est surmontable pour le couple ou non, et surtout, par lequel des deux protagonistes. L’efficacité chirurgicale avec laquelle se déploie l’histoire est remarquable dans sa gestion du rythme. Anatomie d’une Chute nous captive tout au long de ce récit de 2h30 qu’on ne voit pas passer et dont le point d’orgue est un mémorable et saisissant échange entre les deux époux, une fine analyse des rapports d’inégalités qui peuvent advenir au sein d’un couple. Car ce sont les raisons d’une crise conjugale qui se précisent au cours d’un scénario précis et profond, dans lequel on parle beaucoup sans jamais bavarder, et où est exploitée la cruauté d’un procès qui révèle des détails intimes qu’on pensait pouvoir garder pour soi.
Pour son quatrième long-métrage de fiction, Justine Triet imagine un personnage riche et complexe, une femme qui doit se battre pour se tirer d’affaire mais dont l’ambigüité ne cesse de troubler, jusque dans les rangs de la défense. Il faut dire qu’ici, distinguer le vrai du faux est une thématique récurrente, frontière avec laquelle la réalisatrice semble jouer. Dès le début, la question de la fiction pure est abordée et questionnée par une étudiante en littérature venue interviewer Sandra. L’étudiante lui demande dans quelle mesure une histoire créée à partir de faits réels peut-elle encore être fictive ? Triet a sûrement son avis sur la question. Son mari, l’acteur et réalisateur Arthur Harari, étant ici son coscénariste et ses personnages principaux portant les mêmes prénoms que les acteurs qui les campent (Sandra Hüller et Samuel Theis). La même Sandra Hüller, déjà présente en Compétition dans le sidérant The Zone of Interest, fait preuve d’une grande maîtrise et délivre ici une prestation encore une fois impressionnante. Celle qui s’est injustement faite snobée par le Jury en 2016 pour son rôle dans Toni Erdmann redevient ici une sérieuse prétendante au Prix d’Interprétation Féminine. À ses côtés, on doit aussi rendre hommage aux non moins talentueux Swann Arlaud et Antoine Reinartz, deux des acteurs actuels les plus passionnants et qui participent pour beaucoup à la qualité de ce film. Cette incursion dans le registre policier donne aussi à Justine Triet l’occasion d’approfondir le genre judiciaire déjà évoqué avec plus de légèreté dans Victoria (2016). Mais en décortiquant méthodiquement les événements comme l’exige tout procès, elle n’étudie pas seulement la trajectoire de la chute, elle la décompose et s’attarde sur son caractère inéluctable, dessinant au passage les branches cassées qui n’ont pas pu l’amortir.
Réalisé par Justine Triet. Avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner… France. 02h30. Genres : Policier, Drame, Thriller. Distributeur : Le Pacte. En Compétition au Festival de Cannes 2023. Sortie le 23 Août 2023.
Crédits Photo : © 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre.