Baracoa : Orages suspendus
Dans le village de Pueblo Textil, deux gosses jouent et refont le monde en rêvant les yeux ouverts. Avec son premier film, Pablo Briones dresse le portrait sensible et intimiste d’une amitié profonde au cœur de Cuba.
Baracoa raconte l’été désœuvré d’Antuán et Leonel, deux gamins cubains qui s’affairent à tuer le temps et, ce faisant, sondent l’avenir. Pour son premier long métrage, Pablo Briones accompagne les deux enfants sur leurs terrains de jeu dans cette histoire écrite à six mains. À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Baracoa dépeint les aventures ordinaires d’Antuán et Leonel avec poésie et élégance, et nimbe leur voyage d’une aura mystique qui hypnotise. On est happé par chaque image, des fondrières dissimulées dans le crépuscule jusque dans l’éclat des flambeaux qui illuminent une grotte suspendue dans le temps, des terrains vagues où le remblai ondule comme une mer jusqu’aux rues calmes de Pueblo Textil, dont le nom évoque les planifications méthodiques de l’ère Castro, rafraîchies par la brise d’un soir d’été qu’on ne voudrait jamais voir éteint. C’est dans ces tableaux que nos héros se livrent, et ils sont généreux quand ils partagent leur monde avec nous. Malgré tout, quelque chose de lourd se cache dans l’air, une tension indéfinissable qui monte. Le ciel se couvre et crépite, une tempête approche.
Après le passage d’un orage qui déchire le ciel en deux, un vent de normalité se répand lentement sur la région. Antuán rejoint son père à La Havane, Leonel se retrouve seul. La magie se dissipe peu à peu comme un souvenir qui s’efface, l’appréhension et les mystères de Pueblo Textil bientôt remplacés par la routine de la capitale où Leonel se rend pour chercher son ami. À La Havane, les rues sont bondées de touristes et de gens qui vont bosser, et paumée dans cette nuée l’amitié des deux compères accuse quelques coups, leurs tempêtes deviennent intérieures. Avec une force contenue, Pablo Briones brosse cette amitié à l’encre sympathique, laissant brièvement transparaître ses ambivalences. C’est l’affirmation de soi et les vocations qui se prononcent, les chemins qui semblent devoir se séparer quelque part. Toutes ces émotions pressées sous verre tourbillonnent dans leur bocal pour finalement converger vers leur ultime étape, Baracoa.
Baracoa, c’est une plage, mais c’est aussi là où le film s’achève et où débute l’invisible. Nos deux amis grandiront, tandis que nous continuerons de rajeunir en repensant à la dernière photographie de ce film de vacances. Elle nous rappelle aux souvenirs de nos jeux d’enfant et des copains avec qui nous jouions, à nos questionnements et nos espérances d’alors. Baracoa est une respiration, une bouffée nostalgique qui laisse un poinçon au cœur, mais également le perchoir où Antuán et Leonel prennent leur envol, réveillant en nous par la même occasion l’envie de vivre et de découvrir ce qui est à venir. Le film termine sur un coucher de soleil au son de Drume Negrita, une vieille berceuse cubaine, soutenue par un somptueux arrangement musical. Il est temps de dire bonne nuit aux enfants, à Baracoa et à Cuba, et de quitter la salle sur la pointe des pieds, le cœur gonflé de larmes par ce joyau.
Réalisé par Pablo Briones. Cuba, Suisse, Espagne, États-Unis, Colombie. 01h29. Genre : Documentaire. Distributeur : Plátano Films. Sortie le 10 Novembre 2021.
Crédits Photo : © Plátano Films.