Séries Mania 2021 : Rencontre avec Ran Choi, créatrice et scénariste de « Mouse »
Le mal est-il inné ou s’acquiert-il ? Large question abordée par la seule sélection asiatique de Séries Mania 2021, une série sud-coréenne intitulée Mouse. Ce thriller noir mâtiné de SF imagine un serial killer spécialiste des décapitations, le Chasseur de Têtes, qui sévit à nouveau 25 ans après une première vague de meurtres. L’enquête est menée par Jeong Ja-bareum (Lee Seung-gi), épaulé rapidement par un professeur qui avait identifié, à l’époque, le gène de la psychopathie sur plusieurs fœtus. Le premier épisode agit comme un long prologue des événements, et possède un rythme bien particulier, avec de longues séquences d’action ou d’exposition. La créatrice et scénariste Ran Choi, à l’origine de Black (disponible sur Netflix), avait fait le déplacement à Lille contrairement à beaucoup d’équipes internationales, ce qui en faisait l’une des rarissimes représentantes de l’industrie de la Corée du sud à être de passage en France. Ce pays a pourtant une télévision très prolifique suivie par les fans français à travers Netflix ou des plateformes comme Dramapassion. Une occasion rêvée pour lever le rideau sur les coulisses de l’écriture, de la diffusion et de la réception de la série.
Comment se passe le développement et l’écriture d’une série comme Mouse avec vingt épisodes de 70 minutes ? Avec les séries européennes, on est habitués à avoir un seul scénariste, mais sur des saisons beaucoup plus courtes, de 6 à 8 épisodes…
Ran Choi (créatrice et scénariste) : Je travaille tout le temps seule, même pour l’écriture du synopsis. J’ai écrit dix épisodes puis, après l’accord de la chaîne et l’établissement de la grille de programmation, j’ai continué à écrire puis un réalisateur est venu se greffer au projet. Travailler ainsi est beaucoup plus pratique, et j’ai un assistant au scénario qui m’aide si j’ai besoin de détails ou de recherches sur un sujet particulier. Cela ne veut pas dire qu’en Corée du sud, les scénaristes ont l’habitude de travailler seuls ; certains travaillent en tandem.
Un des points de départ de Mouse, c’est la nature du mal. Vous avez également écrit Black pour Netflix, qui traite plus ou moins des mêmes thèmes. Est-ce que le mystère autour de ce thème le rend inépuisable, tant sur le plan scientifique que psychologique ?
Quand on voit le premier épisode, le sujet de la série semble être la nature du mal. Mais, au fil de la série, on s’éloigne un peu de ce sujet. Elle traite plus de la punition du mal, et de la rédemption.
D’après ce que je comprends, la série est classée pour un public averti à la télévision coréenne, soit déconseillée aux moins de 19 ans. Est-ce que cette classification vous permet d’être plus explicite dans la représentation de la violence psychologique et physique ?
Disons que cela aide et n’aide pas en même temps : l’audience n’est pas au rendez-vous puisque la série est diffusée la nuit. Au début, la chaîne m’avait proposé une programmation plus exposée le week-end, mais j’ai refusé d’abaisser le niveau de violence de la série. Sinon, cela devenait impossible de raconter l’histoire. Je voulais montrer le côté cruel des meurtres commis par les psychopathes sans faire de concession. Cela a atteint un niveau jamais vu pour les chaînes généralistes, mais cette programmation m’a donné une liberté créatrice. Même si la violence en a un peu pâti pendant le tournage, je suis assez satisfaite du résultat.
Puisque la série est diffusée la nuit, mais qu’elle a cartonné quand même, est-ce que le public qui s’est le plus investi dans Mouse la rattrapait en replay ?
La part d’audience en Corée est calculée sur les personnes qui ont regardé la diffusion en direct seulement. Elle ne tient pas du tout compte des audiences plus jeunes, qui d’ailleurs ne regardent plus du tout la télévision, ni du replay et du streaming. Mais la série a moins fait parler d’elle en termes d’audience qu’en termes de sujet abordé.
Le débat de société s’est porté sur le sujet de Mouse, à savoir la détection du gène des psychopathes et des criminels potentiels. Cela rejoint un thème de la prévention des crimes qui a été un des motifs majeurs de la science-fiction au XXème siècle. Est-ce que vous y avez pris part, et avez détaillé certaines choses qui étaient présentées dans la série ?
Non, je n’ai pas participé à des débats sur ce thème. L’idée de la série est de détecter le gène du psychopathe sur le fœtus, qui est quelque chose que j’ai imaginé. Ce que j’ai fait, et qui a provoqué le débat, c’est d’en parler autour de moi, avec mes proches féminines. Je leur demandais si elles accepteraient d’accoucher d’un enfant dont on avait diagnostiqué ce gène avant la naissance. La plupart de mes amies me disaient, après avoir lu le scénario : non, je refuserais, je ne mettrais pas au monde ce genre de personnage. Je me suis alors dit que la série était peut-être un peu poussée. En tout cas, on n’a pas l’habitude de participer à des débats politiques ou sociétaux, et même si on me l’avait demandé, je pense que j’aurais refusé.
En termes d’écriture, est-ce que certains rôles de Mouse ont été écrits avec des comédiens connus en tête ? Ou est-ce que ce sont les directeurs de casting qui vous suggèrent des noms ?
En général, sur les séries coréennes, le scénariste a quelques idées en tête pour les personnages principaux et demande à ce qu’on contacte tel ou tel acteur. Sinon, le directeur de casting de la chaîne propose quelques rôles pour compléter la distribution.
Vu la noirceur intrinsèque de Mouse, est-ce que la multiplication des twists permet d’assurer la fidélisation du public de semaine en semaine pour éviter de le faire décrocher ? Et est-elle conçue pour avoir une saison 2 ?
Oui, bien sûr, cela aide à la concentration du public, j’inclus donc des montées en tension et rebondissements dans chaque épisode. Le plus important, c’est que si on a perdu un téléspectateur parce qu’un épisode est moyen, c’est une cause perdue. J’accorde beaucoup d’importance aux fins d’épisodes, qui doivent être palpitantes, et qui doivent pousser le téléspectateur à regarder la suite. Sur des séries, il y a des moments de tension dramatique, et des moments de respiration où la tension tombe, mais dans Mouse, je trouve des manières de faire monter la tension crescendo. En ce qui concerne la structure, j’ai conçu cette saison comme trois saisons en une : les épisodes 1 à 6 sont une sorte de première saison, les épisodes 7 à 13 représentent une deuxième saison, et le reste est la troisième saison. Il y a trois grandes histoires abordées dans cette série. Mais la fin étant ouverte, si on m’en donne l’occasion, je pourrai écrire une suite, pourquoi pas.
Créée par Jinnie Choi. Avec Lee Seung-gi, Hee-joon Lee, Song Min-jae… Corée du Sud. 20 Épisodes x 70 minutes. Genre : Policier, Thriller. La série n’a pas encore de diffuseur français.
Crédits Photo : © CJ ENM.