Journal de Cannes #5 – 15 Juillet 2021
Cher journal,
Aujourd’hui, j’ai agrippé mon siège, pleuré, ri et puis je me suis ennuyé aussi. Bref, j’ai encore passé ma journée en salle.
Les frissons sont venus de Corée du Sud, où Emergency Declaration est présenté Hors Compétition. Comme ce n’est pas fréquent de trouver un film-catastrophe dans la programmation du festival, je n’allais certainement pas bouder mon plaisir. L’acteur Song Kang-Ho (qui est aussi membre du jury) interprète un policier qui tente de déjouer une attaque bioterroriste dans un avion en plein vol. Après Dernier Train pour Busan et Tunnel, les Coréens prouvent une nouvelle fois qu’ils maîtrisent l’art des productions SF à grand budget. Gentiment anti-américaine et légèrement patriote, cette décharge d’adrénaline que j’étais très content de regarder depuis la terre ferme était une pause idéale au milieu des films d’auteurs.
Mon cerveau rebooté était fin prêt à découvrir la dernière réalisation de Mathieu Amalric, Serre-moi fort, qui m’a abandonné en larmes au beau milieu de la salle. Alors certes, j’étais déjà à fleur de peau ce matin, contrarié par une très mauvaise gaufre liégeoise, mais la beauté de cette histoire est imparable. Un matin, une mère de famille quitte son foyer en voiture pour ce qui ressemble à une fuite, un abandon. Très vite, le sentiment d’un voyage plus complexe qu’il n’y paraît surgit de ce joyeux bordel et laisse poindre un dénouement plus dramatique. Comme si j’avais besoin de nouvelles raisons d’adorer l’actrice Vicky Krieps, elle se révèle une fois de plus épatante, à la fois mystérieuse et vulnérable. Le réalisateur tempère les effets de sa mise en scène avec une main experte et réussit un film bouleversant et digne. Et je ne parle même pas de la citation faite à mon film adoré Phantom Thread (qui m’était destinée, j’en suis persuadé).
Un hommage bienvenu, donc, contrairement à France de Bruno Dumont, qui concourt pour la Palme de la farce ratée. C’est laid et ennuyeux quand ça se veut cynique et décapant. Quand on connaît le cinéma de Dumont, on sait que tout est minutieusement calculé. De quoi questionner le sadisme de la mise en scène et du montage sadiques qui allongent inutilement les fins de séquences et laissent des blancs inexpliqués entre deux répliques d’une dispute. Sans compter cette obsession pour son actrice, comme si fixer au plus près le visage sublime de Léa Seydoux pouvait suffire à faire oublier les faiblesses du scénario. Je ne suis donc pas loin de croire que Dumont a volontairement orchestré une parodie dans le seul but de tester le public cannois. Seule Blanche Gardin a réussi à me faire rire, parfaite dans son personnage franche du collier et limitée intellectuellement.
Ah enfin ! Un film décevant, vraiment décevant ! Voilà qui est rassurant car une sélection est toujours plus intéressante quand elle n’est pas tiède. Le festival se termine demain, il me reste donc un seul jour pour découvrir des pépites. Peut-être aurai-je aussi la chance de détester un nouveau film ? Que c’est excitant !
Matthieu Touvet
Crédits Photo : Serre Moi Fort © Les Films du Poisson.