Journal de Cannes #4 – 14 Juillet 2021
Cher journal,
Je ne sais pas pour toi, mais moi je suis crevé. Sache que le 14 juillet n’est pas un jour férié sur la Croisette, au contraire, on s’y dépense plus qu’ailleurs. C’est bien simple : tout le monde faisait l’amour dans les films que j’ai vu aujourd’hui.
À commencer par Une histoire d’amour et de désir, de Leyla Bouzid, présenté en clôture de la Semaine. Tout en peau, tout en mots, cette idylle naissante entre deux jeunes étudiants arabes sur les bancs de la Sorbonne m’a touché par sa délicatesse. Les deux comédiens sont très justes, notamment Zbeida Belhajamor et son naturel rare que l’on reverra assurément. Autant qu’un récit initiatique, c’est une ode à la littérature dans laquelle on interroge la disparition progressive des livres érotiques et sensuels dans la culture arabe. La poésie vient de l’empêchement entend-on dans une scène, alors que le chaste Ahmed a du mal à se défaire de ses injonctions personnelles. C’est en effet très poétique, parfois empêché et surtout très beau.
Dans le Grand Théâtre Lumière, l’appétit sexuel monte d’un cran lors de Red Rocket de Sean Baker. Bye bye bye du groupe *NSYNC sonne le début de cette virée en pleine Americana, lorsqu’on découvre Simon Rex dormant dans un car. J’ai passé deux joyeuses heures à sourire devant les tribulations de ce sympathique loser, ex acteur porno, croyant encore à sa résurrection dans les bas-fonds d’un Texas sur le point d’être trumpé. Comme dans The Florida Project, le tragique se mêle à la légèreté dans cette nouvelle observation des déclassés d’Amérique. Le résultat est galvanisant au point que deux heures plus tard, on a toujours *NSYNC dans la tête.
Pas de tragi-comédie pour le quatuor d’acteurs et d’actrices des Olympiades de Jacques Audiard, plutôt un récit initiatique. Ils se rencontrent, s’aiment et s’éloignent, pour mieux se retrouver et s’aimer de plus belle. Audiard n’a pas seulement redistribué les cartes de sa filmographie. Là, il a carrément changé de jeu. En adaptant les bandes dessinées d’Adrian Tomine, il se réinvente en noir et blanc, délaissant le crime et la virilité, comme si l’extrême liberté de ses personnages lui en insufflait une nouvelle. Modeste dans ses thèmes, l’ambition se situe plutôt dans cette vivacité et cette modernité de tous les plans, qui lui donnent des allures de film générationnel, porté par les révélations Jehnny Beth, Lucie Zhang et Makita Samba.
Face à tant d’efforts, je dois l’avouer, j’ai beaucoup mangé. Quand on y réfléchit, le sexe ne s’est pas cantonné qu’à ces trois titres. Il est intéressant de réaliser que c’est peut-être même le fil rouge de cette édition rescapée d’une pandémie qui a tenu les corps éloignés les uns des autres pendant une année. Enfin, pas tous les corps manifestement. Sur ce, je vais dormir, j’ai un avion tôt demain (sur très grand écran).
Matthieu Touvet
Crédits Photo : Red Rocket © Drew-Daniels/2021 Red Rocket Productions, LLC.