Journal de Cannes #3 – 13 Juillet 2021
Cannes s’embrase. Dans les quatre films vu mardi, le feu était présent. Si les vents violents ayant secoué les palmiers toute la journée y sont peut-être pour quelque chose, on peut toujours compter sur le carrousel de la plage pour apaiser les esprits en diffusant des chants de Noël.
Le futur, c’était mieux avant. Tel est le message du documentaire italien Futura. Quelle meilleure sélection que la Quinzaine des Réalisateurs pour un film qui en a trois ? Alice Rohrwacher, Pietro Marcello et Francesco Munzi, en sillonnant chacun des régions différentes à la rencontre de la jeunesse du pays, leur a posé une unique question : Comment imaginez-vous votre futur ? Quel que soit le niveau d’éducation des jeunes intervenants, leur degré d’ambition et leur situation géographique, la réponse est toujours pessimiste, à quelques nuances près. Les pauvres, ils n’étaient pas au bout de leurs peines puisque la première moitié du tournage s’est faite avant la pandémie. Le film, suite logique du travail engagé de ses trois têtes pensantes, dresse un portrait inquiétant de cette génération qui hésite entre exil et fatalité.
Un choix pas si éloigné de celui d’Anna, l’une des abeilles de la ruche humaine à l’œuvre dans Brutalia, jours de labeur. Dans la droite ligne de la weird wave grecque, dont sont issus les premiers films de Yorgos Lanthimos, le réalisateur Manolis Mavris choisit de donner aux abeilles une forme humaine pour faciliter la direction d’acteurs. Non, je plaisante, ce choix était purement financier. À moins que le but de ce court-métrage dystopique sur une société servile et matriarcale soit de nous amener à réfléchir sur l’acceptation du pouvoir, quelle que soit sa nature, et les risques de subordination inhérents.
Vous m’excuserez mais après ce début de journée, j’ai fait un saut dans la piscine. Quoi de mieux qu’une bonne tasse de javel pour régénérer les neurones après trois jours de festival ? Il me fallait au moins ça pour suivre le héros de La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov, qui a de grandes chances de rafler la récompense suprême. Que voulez-vous, un film à forte résonance politique (le réalisateur russe subit les foudres de son régime et est interdit de sortie de territoire), à l’image noueuse, aussi fiévreuse que son titre, et à la mise en scène prodigieuse, ça commence à sentir la Palme.
À moins que le jury de Spike Lee ne lui préfère le soufre de Titane de Julia Ducournau. C’était l’un des films les plus attendus, promettant le scandale annuel dont le Festival ne veut pas se passer. Mais plus rien ne fait scandale aujourd’hui, ma bonne dame ! C’est à peine si ce second long-métrage a fait claquer quelques sièges. Pourtant, la réalisatrice y va fort sur l’outrance et l’ultra-violence pendant la première demi-heure, au point qu’on se demande jusqu’où va aller Alexia, son héroïne sexy/rebelle et, il faut le dire, extrêmement soupe au lait. L’intrigue tarde à se mettre en place (Alexia est en cavale), enchaînant les scènes chocs jusqu’à friser le ridicule, mais le rythme se calme avec l’arrivée de Vincent Lindon. Le film est tellement riche visuellement et peu complexe dans sa psychologie qu’il était inutile de forcer autant le trait de certains passages, le lestant ainsi d’une charge démonstrative dispensable. Titane a pourtant beaucoup de qualités. Ducournau s’éclate à perpétuer un cinéma Français outrancier encore à l’état de niche, aux antipodes de celui d’un Emmanuel Mouret. C’est donc bon signe. Elle questionne des sujets sensibles (l’appropriation de son corps), assume tout (Carpenter, Cronenberg, Winding Refn), et mêle ces références dans un écrin qui lui est désormais propre (rappelant parfois son premier long Grave).
Dans La Fièvre de Petrov, une phrase écrite au feutre sur la porte d’un vieux casier résume un peu le sentiment de cette journée : Hier, je voulais mourir mais aujourd’hui, ça a l’air d’aller mieux. Ça tombe bien, j’ai encore des paquets de films qui m’attendent. Vous pensez que je passe mes après-midi à la plage ou quoi ?
Matthieu Touvet
Crédits Photo : La Fièvre de Petrov © Hype Film.