Off-Courts, 20ème / #5 / On n’est pas bien là ?
Eh bien le bonjour ! Dans mon précédent billet, j’avais fait la promesse “on se revoit demain”… et pourtant, des jours après… comme quoi, il faut éviter de formuler des promesses, car on ne les tient jamais. Pour ma peine, je m’en vais vous narrer le récit de mes DEUX dernières journées à Off-Courts (le festival de courts français, québécois et européens, à Trouville (pour ceux qui n’auraient vraiment rien suivi du tout !).
La fatigue commence à se faire sentir au cours de ces deux journées finales variées, intenses et de nouveau remplies d’émotion. Allez, on tient le bon bout !
Jeudi : au top de la forme
Les paupières mi-closes, je vois l’heure et saute du lit ; je me presse pour assister à une table ronde que j’attendais avec la même ardeur qu’un enfant attend Noël (chacun ses centres d’intérêts !) : une table ronde réunissant compositeurs, réalisateurs, sound designers, autour de la question “comment penser la musique de film dès le scénario et la réalisation ?”. Les invités reviennent sur la relation compositeur/réalisateur, la nécessité pour chacun de laisser son ego de côté de temps en temps, celle de considérer la phase de création musicale comme un ajout créatif (et non des moindres, car il joue directement avec les perceptions du spectateur !) qui doit être réfléchi dès l’écriture du scénario. Ce genre de questions passionnent le réalisateur qui sommeille en moi, mais ne présentent qu’un intérêt limité pour les personnes ne pratiquant pas la réalisation. Cela n’empêche pas les tables rondes d’être ouvertes à tous, et tant mieux !
Je cours ensuite assister à une projection de courts de la compétition française. Une séance qui se révèle un chouïa plus feel good que les autres, et cela fait du bien. Un court-métrage dans cette séance se démarque à mes yeux : il s’agit du film d’animation Chicken of the dead (Julien David), dans lequel la population se transforme en zombies-poulets, suite aux expérimentations du business man Bernard Lepique, connu pour proposer des poulets à bas prix 50 % bio 50 % antibiotiques. L’idée est originale et diablement efficace, elle titille mon cœur déjà à moitié conquis dès lors que l’on inclut des zombies à la recette d’un film. Cette animation agit comme un cocktail survitaminé au rythme effréné qui critique avec un humour féroce les méthodes des industriels.
Je profite de ma soirée pour assister au programme spécial (sur lequel je reviendrai plus tard) “Bien dans sa peau !”, à la troisième et dernière session de Kino Kabaret (avec cette fois-ci en guest Orelsan et Jean-Claude Van Damme !), et le concert du chanteur algérien Mohamed Lamouri. Pfiou !
Vendredi : entre bilans et binouses
Vendredi, c’est la journée du strass, des paillettes, des larmes, du champagne et de la couverture médiatique. Me voilà à peine arrivé dans les locaux du festival que les caméras me foncent dessus. Le Village Off, surbondé comme jamais, est dans un état d’excitation comparable à la narration de Chicken of the dead. Le monde veut mon compte-rendu, à titre d’envoyé spécial des “Écrans Terribles” : qu’ai-je pensé de ce programme en compétition ? Quelle est selon moi la tendance de la line up de cette année ? Quels ont été mes films préférés ? Quel est mon signe astrologique, et est-il possible, oui ou non, d’avoir mon 06 à l’issue de la Web TV ? Autant de questions vibrantes auxquelles j’ai toujours une répartie bien réfléchie à proposer.
J’enfile ensuite un bonnet et des lunettes de soleil pour me fondre de nouveau dans l’anonymat : enfin je peux souffler. J’en profite pour assister à la projection « Politik », incontournable programme qui s’empare de thèmes d’actualité et pousse le spectateur à la réflexion. Les films n’hésitent pas à déjouer toutes nos attentes de spectateur avec des coups de théâtre (R.A.S de Luxas Derkheim, Attentifs… de Julien Joanny), ou, plus littéralement, des coups de poing (Cherche femme forte de Marilyn Cooke). Il est de notre devoir de spectateur de ne pas détourner les yeux, comme nous le rappelle le très efficace et actuel The ostrich politic de Mohamad Houhou.
J’enchaîne directement avec le débat du jury de la critique, assuré en public et retransmis en direct sur la Web TV. C’est toujours intéressant de découvrir le déroulement de ce genre de réflexion. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, même les trois films qui restent en tête de file ne font pas l’unanimité au sein du jury.
Le critique Laurent Aknin évoque alors le plaisir du spectateur comme critère essentiel pour répondre à ce genre de situation, car celui de la réflexion a ses limites. Sans s’en rendre compte, il se contredira lui-même plus tard lorsqu’il défendra becs et ongles Chicken of the dead (encore lui ! ) : il invoquera en effet l’argument de la vie passée en festivals. Contrairement à son concurrent dans le débat, The van (Erenik Beqiri), Chicken of the dead débute tout juste sa carrière dans les festivals de courts. Cela semble être le critère qui a fait pencher définitivement la balance vers ce dernier. Une manière de réfléchir beaucoup plus stratégique que ne le laissait entendre le critique précédemment, mais aussi une décision symbolique pour les 20 ans du festival, Off-Courts ayant toujours défendu le cinéma d’animation.
Par la suite, les autres récompenses seront attribuées lors de la cérémonie de remise des prix. Beaucoup de discours, beaucoup de larmes, beaucoup (beaucoup beaucoup) de “mercis”. Allez pour la 21ème, faisons un jeu : un shot à chaque “merci” entendu (c’est une blague, ne faites jamais ça, vous finiriez à l’hosto).
Je suis assez étonné de voir que la plupart des prix sont décernés à des films que je n’ai même pas évoqué dans mes billets. Étonné, mais d’un côté, rassuré : cela veut dire que j’ai su rester subjectif, comme le stipulent les dix commandements des “Écrans Terribles”. Cela veut également dire que ces billets ont permis de braquer un petit coup de projecteur sur mes coups de cœur perso, qui n’ont rien gagné aujourd’hui, mais méritent une vie fructueuse en festivals. Ils méritent d’être vus !
Bon, pour ce qui est du reste de la soirée, RAS, enfin… de l’alcool et de la musique, comme d’usage.
>>> Pour le Palmarès 2019, c’est ici.
La parole à tous
Comme promis (une promesse est une promesse, n’est-ce paaas ?), je reviens sur la sélection “Bien dans sa peau !”. Celle-ci a pour particularité de placer le curseur sur les réflexions identitaires et pointe du doigt les discriminations. Point commun de ces films, les personnages tirent une réelle force de leurs différences.
Mention spéciale à Féeroce de Fabien Ara : dans ce court, Simon, huit ans, explique gentiment à sa mère qu’il se sent plutôt à l’aise quand il s’habille en fée, et qu’il aimerait mieux aller à l’école comme ça. Le génie du film tient dans sa mise en scène : les plans sur Simon le montrent seul dans le cadre et l’associent à une musique tribale qui terrifie le voisinage. D’un autre côté, le voisinage, second personnage du film. Fabien Ara joue à fond la carte du jeu théâtral, pour démontrer l’absurdité d’un débat sur la sexualité et le genre de Simon, proféré par des adultes guidés par l’idéologie du “qu’en dira-t-on”. Le résultat est drôle et acerbe : Féeroce porte bien son nom.
Dans un registre encore plus comique, Fuck les gars (Anthony Coveney) est aussi très efficace. Dans ce film, la jeune Anaïs prend les armes dès la 6ème pour empêcher le genre masculin entier d’asseoir sa prétendue supériorité. C’est tellement revanchard (Anaïs n’y allant jamais avec le dos de la cuillère) que c’en est jouissif !
J’ai voulu revenir plus en détails sur ce programme thématique car il m’a semblé assez représentatif d’une volonté globale dans la line up de ce festival : en effet, il n’y a pas qu’au cours de cette séance spéciale que l’on a pu entendre des voix qui peuvent se faire trop rare.
Chez Off-Courts, on célèbre la “girl power” (dans Max de Florence Hugues, chronique d’une toute jeune garagiste) ; on raconte des histoires dans lesquelles des filles s’aiment et c’est OK (Le coup des larmes de Clémence Poésy) (même si tout n’est pas rose pour autant entre elles) ; un pré-adolescent découvre qu’il est amoureux d’un garçon et c’est OK aussi (Provence, de Kato de Boeck) ; un homme apprend à aimer les formes imposantes de son corps (Ma planète, Valery Carnoy) ; on n’hésite pas à placer la caméra du point de vue des enfants (les exemples sont foules, l’un des plus représentatifs étant Juste toi et moi de Sandrine Brodeur-Desrosiers). Et la liste est encore longue !
D’autres petits détails qui retiennent mon attention et sont très positifs quant aux valeurs véhiculées par Off-Courts : nombre de films sélectionnés dans des compétitions France ou Québec sont en réalité tournés dans d’autres pays, n’hésitant pas ainsi à partager d’autres cultures, d’autres langues ; les films auto-produits sont largement mis en valeur (à vue de nez, un bon tiers d’auto-productions) ; et pour finir, comme cela a été souligné pendant la cérémonie de clôture, la programmation de cette année, sans que cela ait été calculé, entretient une parité parfaite. 50 % de réalisateurs, 50 % de réalisatrices. Chapeau ! Tous ces “petits détails”, en réalité, n’en sont pas ; ce sont eux qui entretiennent peu à peu un changement positif qui peut passer par le cinéma. Une bonne raison d’aller à Trouville !
Bref, pour conclure, Off-Courts, c’est très sympa, je recommande chaudement ! Et si je ne vous ai pas encore convaincu, voici une photo de la ville. Parce que la ville est jolie aussi !
Je vous laisse à la contemplation de cette photo, pendant ce temps, je pars vers d’autres horizons…
En Une : Féeroce de Fabien Ara ©Off-Courts