NOW APOCALYPSE : Fin du monde décontractée
La fin du monde, c’est pour quand ? Gregg Araki, le pape du pessimisme pétillant, nous offre une nouvelle vision de ses angoisses existentielles et c’est beau comme un feu d’artifice sous acide.
Éternel refuge de l’American Dream, L.A est tellement cinématographique que chaque centimètre carré de cette jungle urbaine peut devenir le décor d’un plan culte. Elle est peut-être l’une des rares villes que l’on a l’impression de connaître sans y être jamais allé, en se laissant guider par l’oeil de celui ou celle qui veut nous en proposer sa vision à travers un film. Ou une série d’ailleurs. Now Apocalypse en l’occurrence, dernière livraison de Gregg Araki qui revient explorer les thèmes qui lui sont chers et qui ont fait sa marque de fabrique, après s’en être un peu éloigné avec White Bird.
Ce qui fait la marque des vrai.e.s auteur.e.s, c’est cette idée que leur oeuvre ne pourrait appartenir à personne d’autre et que chacune des pièces dont elle est composée lui est immédiatement attribuée. C’est indéniablement le cas de l’ami Araki, dont ça fait toujours plaisir d’avoir des nouvelles et qui apporte ici un élément supplémentaire à une oeuvre cohérente et très personnelle.
Si le titre annonce en synthèse la menace qui plane sur ces dix épisodes réjouissants, il est également un jeu de mots avec l’enfer vietnamien de Coppola. La corrélation ne va pas plus loin mais on devine, au-delà du clin d’œil, un pied de nez à l’establishment de la part du petit malin qui a toujours été très content de faire ses films dans son coin. Celui qui a offert son premier vrai rôle à Rose McGowan dans The Doom Generation filmera deux ans plus tard Chiara Mastroianni et Debi Mazar dans Nowhere, deux films qui fleurent déjà bon la fin du monde et la torpeur nihiliste dans la cité des anges à l’été éternel.
Parce que le truc avec Araki, si on connaît un peu le bonhomme, c’est que même si l’on ignore tout de ce que l’on s’apprête à voir de lui, on peut être à peu près sûr qu’il s’agira de très beaux jeunes gens un peu paumés, au look très soigné, qui font des rêves chelous et attendent patiemment la fin de l’humanité en mangeant des space cakes, à quelques variables près. Ne tombant jamais dans le panneau facile du nombrilisme destroy, Now Apocalypse n’échappe pourtant pas à cette formule, mais Araki a su la renouveler en ancrant l’histoire dans l’époque actuelle avec un plaisir évident. Le programme cité plus haut est respecté à la lettre, à ceci près que les protagonistes sont cette fois, pardon pour les anglicismes, des millenials genderfluid qui essaient de vivre leur best life en tant que “pauvres de Hollywood” tout en composant avec les outils de leur société uberisée.
C’est dans ce décor urbain et coloré et au son d’une musique électro bien entrainante que le héros, Ulysses (Avan Jogia), vadrouille de job en job sans ambition. Il s’applique à éviter Ford, son coloc et meilleur ami hétéro (hilarant Beau Mirchoff, vu dans Desperate Housewives), car la vision de ce ravissant idiot sensible et adepte de la salle de gym est un supplice depuis qu’il a décidé de ne rien porter d’autre qu’un slip en attendant qu’on répare la clim.
“It’s the end of the fucking world as we know it!” Entre deux notifications Grindr, voilà ce qu’Ulysses se tue à expliquer à Carly, sa BFF (Kelli Berglund, sacrée révélation) en lui décrivant une angoisse qui se traduit par la crainte d’une fin du monde imminente. Cette peur est alimentée par des rêves bizarres dans lesquels des reptiliens, qui ressemblent à s’y méprendre à Denver le dernier dinosaure sous crack, délivrent un message bien flippant en s’adonnant à des plaisirs très ciblés.
L.A oblige, les jours défilent sans forcer entre parties de jambes en l’air, soirées piscine à Palm Spring et rêves de cinéma évaporés en moins de temps qu’il n’en faut pour sauter dans le jacuzzi. La seule qui bosse dans l’histoire, c’est Séverine Bordeaux, jouée par Roxane Mesquida, muse d’Araki depuis Rubber, qui malheureusement force un peu trop le trait de la Française chic et sombre. Petite amie dominatrice (de ce pauvre Ford qui ne sait plus quoi faire pour qu’elle voie en lui autre chose qu’un objet sexuel), cette scientifique énigmatique travaille sur une mission top secrète aux avancées de plus en plus inquiétantes. Dans le même temps, la beuh qu’Ulysses vapote toute la journée ne l’aide probablement pas à calmer ses angoisses, mais ce livreur de sushis est quand même beaucoup trop sexy, donc il réglera cette histoire d’apocalypse un peu plus tard.
L’obsession d’Araki pour la fin du monde est le noyau autour duquel il construit la plupart de ses histoires. Le sujet est traité avec sérieux mais on n’est jamais loin de la farce. Il devient le terrain d’une expérimentation visuelle très étudiée, comme s’il fallait enrober les angoisses existentielles d’une couche d’absurdité pop pour mieux les supporter. Ainsi, on imagine facilement que Sandra Valde-Hansen et Trayce Gigi Field, respectivement directrice de la photo et styliste sur le plateau, se sont attelées avec joie à filmer ces histoires comme on shoote une campagne de mode. A l’écran, on ne sait pas qui a le plus chaud entre les couleurs, les corps ou les thermomètres. Une sensation que l’on retrouve au fil d’épisodes qui célèbrent la sexualité sous toutes ses formes. Ces couleurs vives, qui participent à la sensation d’hallucination permanente inhérente à cette ville et aux excès de bonbons magiques d’Ulysses et de ses amis, restent longtemps en mémoire. Car si ce sont vraiment les dernières heures du monde, pourvu qu’elles soient belles et barrées.
En espérant une éventuelle saison 2, on termine Now Apocalypse avec la vague impression d’être parti.e en vacances dans un roman de Bret Easton Ellis qui aurait décidé de laisser son costard au vestiaire pour aller enfin s’amuser. Et c’est avec ce goût d’été halluciné encore sur les lèvres que l’on repensera à L.A. selon Gregg Araki, une version qui a l’odeur de l’huile de bronzage, du gel lubrifiant et du bitume chauffé par un soleil de plomb.
Now Apocalypse. Série créée par Gregg Araki et Karley Sciortino. Avec Avan Jogia, Kelli Berglund, Beau Mirchoff, Roxane Mesquida… Saison 1 : 10 x 30 minutes. Diffusion France : Starz Play depuis juin 2019.
Photo en Une : Avan Jogia, Beau Mirchoff © Starz