Le Cinéma est à Nous
Sorti sur Netflix après une campagne de financement participatif devenue virale (et ayant permis de lever plus de 90 000 euros), Paris est à Nous réalisé par la mystérieuse Elisabeth Vogler suscite bien des controverses. S’il n’est pas totalement réussi et peine à masquer son immaturité parfois grandiloquente, le film interpelle par sa liberté et son énergie, incarnées en grande partie par la lumineuse Noémie Schmidt.
Il est midi, grand soleil sur les Grands Boulevards en ce dimanche de fin février. Une petite foule discrète se presse devant le cinéma Max Linder Panorama. Après avoir brandi notre invitation, on peut s’installer dans la salle déjà pleine pour découvrir ce film sur grand écran, alors même qu’il sera diffusé exclusivement en streaming sur Netflix. Sacrés veinards que nous sommes.
Au-delà des polémiques assez binaires sur la valeur cinématographique des films qui vivent leur vie loin des salles obscures, le cas de Paris est à Nous est étonnant et révélateur. Netflix est en effet la seule structure à avoir offert un plan de financement suffisamment satisfaisant pour les producteurs du film, alors même que le contrat implique de renoncer à des promesses faites aux contributeurs, une sortie en blu-ray notamment. Laurent Rochette, producteur du film, et Paul Saïsset, co-scénariste et chargé de communication, expliquent que le nombre de copies et de salles qu’on leur a proposé pour une sortie salles n’était pas suffisant. Cela aurait signifié une sortie principalement parisienne avec relativement peu de portée en province et zéro à l’international. Inacceptable pour cette équipe de passionnés, obsédés par l’accessibilité au public.
Le public en ce dimanche est donc principalement composé de personnes ayant choisi de donner leur argent pour fabriquer le film, après avoir été convaincues à l’époque par la vidéo de promotion de Noémie Schmidt. Elles sont invitées à boire un verre à l’issue de la séance dans un pub en face du cinéma et à rencontrer l’équipe. Dans l’assemblée, certains vivent mal cette absence de blu-ray. Mais ils sont nombreux à être très enthousiasmés par le film. “Cela fait dix ans que j’attendais ça”, affirme un homme qui n’a pas l’air d’avoir plus de la trentaine. Très vite, on compare le film à la Nouvelle Vague (le titre est transparent dans son hommage à Paris nous appartient de Jacques Rivette), à Terrence Malick. On loue sa singularité dans le paysage cinématographique hexagonal. Et on s’étonne qu’il n’ait pas été repéré par des festivals de premier plan. L’équipe du film, Laurent Rochette, Paul Saïsset et Noémie Schmidt, restent à l’écoute et engagés. Mais l’énergie de Noémie Schmidt sort du lot.
Il faut dire que le film, improvisé au tournage et au montage, repose en grande partie sur son énergie solaire. Sa présence est fascinante car elle possède une façon très moderne d’être iconique, presque discrète. Pourtant elle raconte très précisément quelque chose de notre époque, avec sa grâce atypique et “flottante”. Elle incarne Anna, une jeune fille qui flotte donc, éperdue, dans sa quête d’amour et de compréhension. Et perdue dans sa relation avec Greg dont elle est tombée amoureuse sur une piste de danse, au son de Laurent Garnier, alors qu’ils avaient tous les deux égaré leurs amis respectifs.
Paris est à Nous est un film de l’absolu premier degré. Et après tout, pourquoi pas ? On ne se retrouve pas dans les critiques qui lui reprochent son outrance métaphysique. Est-il possible qu’un ensemble de films trouve grâce auprès d’un certain public, des circuits de festivals et des labels Art et Essai en se reposant avant tout sur le nom de leurs réalisateurs? Comment peut-on juger la poésie métaphysique naïve ou superficielle au seul prétexte qu’elle n’est pas portée par une armada technique hors de prix, ou un nom qui rassure et qui incarne un capital culturel inattaquable ? Au fond, il y a quelque chose de rafraîchissant dans cette envie vorace de fabriquer du cinéma avec une caméra abordable et les moyens du bord.
Non, si on devait formuler des réserves sur Paris est à Nous c’est qu’il semble ne pas toujours avoir conscience du coeur de son histoire. Celle d’Anna, déstabilisée de constater que tomber amoureuse de quelqu’un qui affirme vous aimer en retour ne signifie pas être respectée en tant que personne. La film traîne longtemps un regard ébahi autour du couple formé par Anna et Greg, pourtant pour le spectateur (ou en tout cas la spectatrice que je suis), la lune de miel dure à peine dix minutes. Il suffit que Greg reproche à Anna de fumer, avant de lui faire comprendre qu’elle devrait le suivre où qu’il aille sans poser trop de questions puisqu’elle ne fait rien de vraiment important de sa vie pour qu’on ne souhaite qu’une chose : qu’elle le quitte en courant ! Mais Anna est trop gentille, et hypersensible ; elle peine à assumer son anticonformisme et ne comprend pas le mépris. Car Paris est à Nous est un film immature mais qui a le mérite d’être cohérent car il raconte l’immaturité. L’immaturité affective, mais aussi l’immaturité politique et sociale. Le tout vécu à travers le prisme d’Anna qui lutte pour s’affirmer en tant qu’individu, et en tant que femme, alors même qu’elle peine à faire face à la réalité. Le film est l’histoire de sa dépression. La force de Noémie Schmidt et la manière dont elle continue de défendre le projet hors caméra (en lieu et place de sa réalisatrice qui préfère l’ombre) contribuent à toucher et garantir une sincérité à la démarche. On regrette cependant que certains réflexes datés (et hérités d’une cinéphilie un poil déférente, et disons-le franchement, masculine) conspirent plutôt à la tirer en arrière, tout autant que le très prosaïque Greg (qui aurait peut-être mérité mieux lui aussi). On n’adhère pas du tout aux séquences hitchcockiennes en perruque par exemple, ni à la figure paternelle (et donc gentiment paternaliste) incarnée par Lou Castel. Ou alors il aurait fallu aller plus loin pour montrer ce qu’Anna doit traverser pour se débattre et refuser qu’on la réduise à un objet.
Enfin, si on reconnaît à Netflix la cohérence stratégique de se positionner sur des films qui font le buzz comme disent les jeunes (ou plus vraisemblablement comme disent les vieux qui pensent savoir comment parlent les jeunes), on relève que le choix d’acquisition de ce film est plus étonnant qu’il n’y paraît. Paris est à Nous n’a aucune structure dramaturgique classique. Et pourtant il n’a jamais été question pour la plateforme VOD de repasser derrière et d’exiger un nouveau montage. Le géant américain pourrait-il être synonyme d’une certaine indépendance ? Elisabeth Vogler et Alfonso Cuàron, même combat. En tout cas, après plusieurs années de bataille acharnée pour son intégrité artistique, la petite bande de doux dingues qui a donné naissance à cet objet étrange et novateur semble s’être soudée dans l’envie de continuer à faire du cinéma sans concession. Peut-être d’abord un peu de repos. Puis repartir soulever des montagnes. Et après tout, au pays de l’exception culturelle formatée, n’est-ce pas là une bonne nouvelle ?
Paris est à nous. De Elisabeth Vogler. Avec Noémie Schmidt, Grégoire Isvarine, Marie Mottet. Drame. France. 2019. 1h23. Netflix France. Sortie : le 22 février 2019 sur Netflix.