Comic Con Paris : la parole aux enfants
En arpentant les allées encombrées de La Villette, difficile de ne pas remarquer l’excitation presque fébrile qui envahit le corps des festivaliers. Hommes, femmes, jeunes ou moins jeunes : les yeux brillent, les bouches s’écarquillent, les sourires s’agrandissent. Les nôtres aussi. Pour tout amoureux de pop culture, le Comic Con Paris est the place to be. Trois jours d’effervescence, de bains de foule, de séance de shopping, de photos avec les héros de notre enfance, notre adolescence, ou même ceux de maintenant. Pas de doute, les organisateurs savent nous choyer.
Mais si les invités de l’année et leurs conférences savent attirer les grands nostalgiques (Dean Cain et Loïs & Clark, Jenna Coleman et Doctor Who, Shannen Doherty et Charmed…), qu’en est-il des plus jeunes spectateurs ? Qu’est-ce qui attire les mini-geeks qui courent autour de nous ou se pavanent sous leurs cosplays ? Il n’y a pas d’âge pour adorer la pop culture, et le Comic Con est aussi organisé pour eux (peut-être même encore plus que pour les adultes). Certains sont là en famille, d’autres entre potes, quelques-uns en solitaire. Souvent, un adulte veille, non loin d’eux. Toujours, leur bonheur d’être là illumine la Grande Halle de la Villette. Sous son casque de Captain America, Homer arpente la mezzanine, devant de nombreux croquis originaux de The Walking Dead. Accompagné de Wendy, superbe Batwoman, et de son papa Philippe, qui impressionne en Thor tenant le cœur de l’infâme Thanos dans sa main, Homer savoure le plaisir de se promener en cosplay. « C’est beau de voir tous ces gens qui aiment les super-héros. Le Comic Con représente tous les comics, tous les films, on peut venir et se déguiser en ce qu’on aime. On a tous la même passion ! ». Si c’est le premier Comic Con Paris du jeune garçon, Wendy en avait déjà fait un, à l’époque où l’événement geek était jumelé à la Japan Expo. « J’ai laissé les comics un peu de côté pendant quelques années, mais je me suis remise à les lire lorsque DC Comics a fait un reboot de son univers (avec DC Rebirth, ndlr). Et je suis complètement retombée dedans. Ça m’a donné envie de revenir et de faire un cosplay. Il n’y a pas de meilleur endroit pour porter un cosplay de comics que le Comic Con Paris ». Auprès d’eux, Philippe sourit, très fier de leur avoir transmis son amour pour les super-héros, qu’il nourrit depuis ses huit ans (« il y a 940 ans de ça », précise-t-il). Car après tout, il n’y a pas de plus belle manière de vivre une passion que de la partager en famille.
Quand on parle de comics et de films de super-héros, on se retrouve parfois dans une situation qui rappelle l’œuf et la poule. Dans le cas présent, on sait évidemment lequel des deux est arrivé en premier, mais dans le cœur des amateurs, l’ordre n’est pas toujours celui qu’on croit. Alors, plutôt lecture ou visionnage ? Contrairement à Wendy et Homer, élevés aux pages colorées des bandes-dessinées, de nombreux passionnés ont commencé par les films, en particulier ceux des héros Marvel. Avec pour beaucoup, un point d’ancrage : Spider-Man. « Quand j’avais 4-5 ans, j’ai découvert Spider-Man en m’avalant les films de Sam Raimi », nous dit Olivier, 16 ans. « C’est mon père qui me les avait montrés. J’ai grave aimé, et c’est toujours le cas douze ans plus tard. Ça ne m’a jamais quitté ». Olivier et son meilleur ami Alban posent sans fatiguer devant les smartphones de nombreux curieux. L’un est cosplayé en Deadpool, l’autre en Spider-Man. Tous deux vouent un culte à l’homme-araignée, le héros de leur enfance. « Ça a commencé avec le dessin animé, quand on était petits », confesse Alban. « Et puis il y a eu les films, et mon père qui m’en parlait beaucoup lui aussi. Maintenant je lis beaucoup de comics. Quand on fait du cosplay, je suis toujours en Spider-Man ». Parfois, donc, l’œuf vient bien après la poule… et avant le cosplay, activité star qui continue de fasciner petits et grands. Alban nous le confirme : c’est bien l’envie de cosplayer ensemble qui les a amenés au Comic Con Paris. « J’adore ça. Dans le cosplay, on voit de tout. Les gens se font plaisir, ils s’affirment sous leurs costumes. Et les univers se mélangent ! C’est un truc de malade. Et c’est génial de les rencontrer, de prendre des photos et de poser avec eux ». Non loin d’eux, une autre araignée valide les affirmations des deux amis. Il s’appelle Dynaï, il a quatorze ans et voue lui-aussi un culte à Peter Parker et son alter ego masqué. Aujourd’hui, il arbore d’ailleurs les atours du Spider-Man punk apparu dans la saga Spider-Verse en 2014 et n’hésite pas à poser, guitare à la main, avec et pour les festivaliers qui le lui demandent. Grand fan des films (« si je devais n’en choisir qu’un, ce serait le tout premier de Sam Raimi ! »), Dynaï savoure l’euphorie d’être au Comic Con. Et si le cosplay tient une grande place dans l’organisation de ses journées, il n’en néglige pas pour autant la programmation de l’événement. « Je suis allé voir la conférence Good Game, avec Bapt&Gael, celle sur Final Space et j’ai vu l’avant-première d’Overlord hier soir. Ça permet de varier un peu les plaisirs, entre les boutiques et les discussions entre cosplayeurs ». Quant à son adoration pour l’Araignée, Dynaï l’explique de manière très personnelle. « Je crois que j’aime Spider-Man parce qu’il est un peu comme moi. Il est bon en cours, mais il est très tête en l’air, un peu rêveur. Et tout ce qu’il veut, c’est simplement arrêter les méchants ». De là à comprendre que Dynaï rêve de combattre le crime avec son masque à pointes et sa guitare électrique, il n’y a qu’un pas que nous serions ravis de le voir franchir un jour (si nous étions dans un comics, bien entendu).
C’est probablement ce qui nous plait le plus dans le concept même du Comic Con (qu’il soit basé à Paris, Londres ou San Diego). Chacun peut être le héros qu’il souhaite, ou celui qui se cache au fond de son âme. Personne ne juge personne, il n’y règne qu’un amour palpable pour la pop culture sous toutes ses formes. Les participants, quel que soit leur âge, quel que soit leur genre, quel que soit leur physique, peuvent incarner et crier leur amour pour leurs héros favoris. Ne pas avoir peur d’être catalogués de geek, de nerds, de ringards, de gamins, voire de vieux gamins s’ils ont passé un certain âge. Bien sûr, la pop culture s’est créée une place de choix cette dernière décennie, en France comme ailleurs. On peut remercier Marvel pour ça, mais également les séries de DC Comics (Arrow, Flash et compagnie), Harry Potter, Game of Thrones, Doctor Who aussi. Mais il y a une différence significative entre aimer voir Captain America et Iron Man confronter leurs idéaux par la force des poings (et du bouclier) et dévorer chaque comics, collectionner toutes les figurines et aimer cosplayer ses idoles. Être « trop geek », en somme, si une telle chose est possible. Au Comic Con Paris, le « trop » n’existe pas. Il y a les amateurs curieux, les passionnés fiévreux et les fans hardcore. Les moyens mis dans les tenues varient selon les cas, des simples t-shirts discrets aux tenues confectionnées à la maison avec un souci du détail prodigieux. Mais l’amour reste le même, et la tolérance va de pair. Arpenter le Comic Con Paris, c’est voir les braqueurs de La Casa de Papel vous menacer de leurs fusils, Rick and Morty se chamailler en public, Harley Quinn taper la pose avec Deadpool et plein d’écharpes aux couleurs des maison de Poudlard se balader dans les allées de La Villette. C’est voir Mauro, quatorze ans, faire la queue à de nombreuses tables de dessinateurs (« Pour l’instant j’ai Charles Soule, Andy Kubert, Muhmad Asmar… et là, je continue ! ») pour faire dédicacer ses comics préférés. C’est voir un père et ses deux enfants arborer torses bombés le symbole de Superman pour leur tout premier Comic Con Paris, heureux d’avoir pu poser tous les trois avec un de leur héros : Dean Cain. Et c’est aussi voir Sarah, très belle Poison Ivy, laisser ses deux très jeunes enfants costumés Kyra et Jared, déjà habitués à Paris Manga et la Japan Expo, poser fièrement avec les cosplayeurs qu’ils croisent dans leurs balades. On peut penser qu’ils sont trop petits pour ce genre de manifestation. Mais leurs sourires, croyez-nous, sont enchanteurs.
Car au fond, tout est question de bonheur. Tout est question de plaisir. Croiser des familles et des petits cosplayeurs d’un mètre de haut nous amène à penser à ce qu’on aurait ressenti si, nous aussi, il y a quinze ans, nous avions eu accès à un tel événement pour afficher notre amour pour le fantastique, la science-fiction, les comics et les super-héros. Si nous avions pu partager avec des milliers d’autres personnes notre passion, et nous épanouir, pendant trois heures ou pendant trois jours, au milieu de nos semblables. Si nous avions pu traîner notre famille, comme tant d’autres le font aujourd’hui, dans un tel rassemblement et découvrir ébahis des centaines de Funko Pops de Buffy, X-Files, Scooby Doo, Street Fighter ou Zelda. Nous déguiser (le terme « cosplay » n’existait pas alors) nous aussi, sans honte, sans embarras. Si nous avions pu comme Théo, onze ans, et ses cousins Adam, dix ans, et Chloé, Potterhead de dix-sept ans, venir baver devant les milliers de produits dérivés, et partager ce grand moment en famille. Ce « moment privilégié », comme le décrit Sébastien, le papa au t-shirt de Superman, qui permet à bien des participants « de perpétuer une forme de tradition, de vivre ses passions en famille… et de faire chauffer la carte bleue ». Ou simplement, comme Ornella (alias splatgoji256 sur Youtube), recharger nos batteries et oublier un quotidien morne et gris le temps de quelques heures. Alors que son papa veille à quelques pas de là, ce Godzilla de treize ans et demi dresse sa pancarte Free Hugs au milieu de La Villette et accumule du câlin à la chaîne (plus de trois cents, d’après son père). Une manière de véhiculer de l’amour et de la tendresse dans une gigantesque fourmilière. « J’aime les câlins, mais généralement, dans la vie de tous les jours, les gens me repoussent en disant qu’ils n’en veulent pas, que les câlins c’est un peu bête… Alors que moi, ça me fait du bien. À Paris Manga, pas plus tard que la semaine dernière, j’ai vu des gens faire des Free Hugs, je les ai rejoints et on en a fait plein. Si je fais ça au Comic Con Paris, c’est pour redonner le sourire aux gens, leur transmettre du bonheur. Parce que les câlins, c’est gratuit, jusque-là. Alors aujourd’hui, j’accumule ma dose de tendresse pour l’année ».
Les organisateurs du Comic Con Paris pourront inviter autant de stars qu’ils voudront, programmer toutes les conférences auxquels ils penseront, organiser autant d’avant-premières qu’ils le pourront. Ceux qui font vivre un événement de cette envergure, ce sont eux, les Dynaï, les Maxime, les Ornella, les Adam et les Théo, les premiers passionnés. Ceux qui partagent leur amour et leur passion des étoiles dans les yeux, avec un sourire qui illumine La Villette comme le Bat Signal dans la nuit de Gotham. Rendons à César ce qui appartient à César, le Comic Con Paris leur est clairement destiné, et s’il vibre aussi intensément depuis quatre ans, c’est aussi et surtout grâce à eux.
Crédit photos : © Gauthier Moindrot / Les Ecrans Terribles