Trouville spin-off #2 – Le cinéma de genre
Après un premier hors-série consacré au cinéma dit politique lors du festival Off-Courts Trouville – qui s’est achevé il y a un mois – voilà que nous nous attaquons de nouveau à un gros morceau : le cinéma de genre. On aura tout lu et entendu à ce sujet en France depuis les cinq dernières années, et il ne s’agira pas ici d’enfoncer des portes ouvertes. Plus modestement, nous allons parcourir les différents films de genre sélectionnés cette année à Off-Courts et tenter de définir ce qui les relie, et en quoi ils questionnent la notion du genre dans notre pays.
La proposition de cette année, toutes sections confondues, fut assez riche. J’ai pu dénombrer sept courts métrages de genre : en compétition française étaient sélectionnés Bug (Cédric Prévost), Hybrids (F. Brauch, M. Pujol, K. Tailhades, Y. Thireau, R. Thirion) et Graines (Hervé Freiburger) – bien que L’émeute qui vient (Lucas Gloppe) puisse également s’apparenter à du cinéma de genre grâce à son approche narrative qui flirte avec l’anticipation politique.
Il y avait aussi Deer Boy (Katarzyna Gondek) en compétition européenne, Orage par ciel clair (Yohan Faure) dans le programme Made in Trouville, Karl (Thomas Scohy) pour l’hybridation de la science-fiction et de la comédie dans la section « Séance en famille » et La Parcelle (Michael Guerraz) dans le programme « Politik ».
Ces films, bien qu’inégaux, offraient tous une proposition formelle très forte. Pour son univers graphique, on retiendra Deer Boy, l’histoire d’un jeune homme né dans une famille de chasseurs, affligé de bois de cerf qui lui poussent sur le crâne. Le film construit son univers crépusculaire à coup de fulgurances graphiques, aux doux relents pop des récents Tim Burton et en puisant dans l’expressionnisme allemand. Néanmoins, le court métrage s’enlise quelque peu dans une narration elliptique qui entrave l’émotion et l’attachement au personnage. Hybrids se démarque néanmoins pour la qualité de son animation, exceptionnelle, et l’acuité du travail des lumières dans le monde sous-marin, hanté par les cadavres de la pollution des Hommes, seule trace durable que nous laisserons sur la planète.
Enfin, mention spéciale à La Parcelle, véritable réussite, qui rappelle un peu le traitement souterrain de l’angoisse dans Petit Paysan. La mise en scène y est d’une maîtrise rare en court métrage : les jeux de caméra, ne se refusant aucune audace formelle – même un travelling compensé ! – alimentent un suspense qui monte crescendo jusqu’au dénouement, hautement satisfaisant. Le malaise diffus et subtil qui s’insinue en nous comme un poison est remarquable et confirme le talent de Michael Guerraz, dont c’est le troisième court métrage. Je m’étonne d’ailleurs que ce film n’ait pas figuré en compétition, où il avait largement sa place.
Il y avait également la sélection du Prix Polar SNCF, dont on pourrait argumenter qu’elle devrait s’intégrer dans la catégorie des « films de genre ». En effet, étant donné que le polar est régi par un certain nombre de codes diégétiques et esthétiques, il est compréhensible que l’on puisse l’apparenter au genre. Personnellement, j’y suis assez opposé dans la mesure où définir comme film de genre tout ce qui n’est ni de la comédie ni un film d’auteur, me semble très réducteur. On butte ici sur l’éternel dilemme de l’identité du genre – particulièrement en France – où même sa définition pose problème. Cette zone du cinéma est trouble et c’est peut-être mieux ainsi.
Lorsque j’interroge Cédric Prévost (le réalisateur et scénariste de Bug) sur l’identité du cinéma de genre, celui-ci me répond que c’est une notion qui ne peut pas être catégorisée. Pour Cédric, dont toute la filmographie se construit justement sur différents genres cinématographiques, c’est-à-dire différentes typologies de conventions de récits et d’identification : « tout l’attrait de la mise en scène d’un cinéaste est d’amener le spectateur à un endroit qu’il ne connaît pas. Et le genre est très fort pour ça ». Il cite Kubrick « qui est passé d’un genre à un autre pour chacun de ses films, et qui pourtant parvient à maintenir la cohérence de son univers, de sa patte formelle, de son regard ». Pour Cédric, le côté protéiforme du genre lui évoque le travail du comédien, qui passe d’un personnage à un autre, en se ré-inventant, mais en restant essentiellement toujours le même. C’est cette capacité trouble, fluide, à passer d’un registre à un autre, à surprendre le spectateur, qui fascine Cédric. Le court métrage Bug, qu’il présentait cette année à Trouville, traitait exactement de cette problématique : un jeune homme, mal dans sa peau et solitaire, découvre qu’il peut changer d’apparence via un bug étrange de sa souris d’ordinateur investie de pouvoirs surnaturels. Il décide alors de conquérir une actrice qu’il idolâtre. A travers ses rebondissements, le film évoque surtout l’enfermement abyssal du personnage, et dénonce le jeu macabre du masque social auquel chacun s’adonne sur les sites de rencontres.
On l’aura compris : il est toujours ardu d’évoquer le cinéma de genre sans s’enfermer dans des chapelles. Soulignons tout de même l’engagement du festival Off-Courts Trouville à ce sujet, qui en tant que manifestation généraliste, a su mettre en lumière de nombreux courts métrages de genre cette année.
Et ce sera sur cette réflexion que je reposerai définitivement la plume : mon devoir est à présent achevé, et ma liberté vient de m’être rendue.
Je remercie l’équipe du festival Off-Courts ainsi que celle des Écrans Terribles pour leur sympathie et leur travail inspirant. Mais je vous remercie également vous, chers lecteurs du monde entier, qui avaient suivi avec une passion débordante mes écrits. Comme Oprah Winfrey à la fin de son show, je n’aurai que ces mots : « I won’t say goodbye. I’ll just say… Until we meet again. ».