Gender Derby, le genre comme sur des roulettes
Avec son image verticale et sa liberté de ton, Gender Derby vous fait découvrir pendant deux mois le quotidien d’un accro de roller derby transgenre. Un format hors norme pour un jeune héros qui ne l’est pas moins.
Tous les dimanches à 18h, IRL, la plateforme de France Télévision dédiée aux nouvelles écritures du réel, invite ses utilisateurs à découvrir un autre monde, celui de Jasmin. Ne vous y trompez pas, Jasmin vit bien parmi nous. Mais son monde à lui, malgré l’attention récente des médias ou du cinéma, est encore bien mal compris. Jasmin est transgenre, et il le sait depuis son enfance. « Quand on me disait “comment s’appelle ce petit garçon ?”, je répondais “je suis pas un petit garçon, je suis une petite fille”. Et quand on me disait “comment s’appelle cette petite fille ?”, je répondais que j’étais un garçon ». Quand il était enfant, Jasmin masculinisait les prénoms féminins, et féminisait les prénoms masculins. Son identité s’est forgée tout le long de son parcours. Avec beaucoup d’humour et un sincère désir de transmission, Jasmin brise les idées reçues que l’on pourrait avoir sur la question. Celles qui nous laissent penser qu’être transgenre, c’est forcément vouloir être du sexe opposé à celui assigné à la naissance. Mais les choses sont bien plus complexes qu’elles n’en ont l’air et il n’y a rien de plus personnel et de plus unique au monde qu’une identité, qu’elle soit transgenre ou non d’ailleurs.
Camille Ducellier, la créatrice de Gender Derby, a emmené sa caméra à la rencontre de Jasmin, mais aussi de ses proches : ses partenaires de roller derby comme ses amis. À l’image de June, son « frère de testo ». June et Jasmin n’ont pas leur langue dans leur poche et n’hésitent pas, avec leur franc parler et leur verve imagée, à désacraliser la transition. Si les personnes transgenres gagnent de plus en plus de visibilité dans les médias, dans les fictions et documentaires audiovisuels ou sur les réseaux sociaux, c’est bien la première fois qu’on entend parler du sujet avec autant de simplicité et de familiarité. Gender Derby abolit le politiquement correct, celui qui nous fait prendre des pincettes lorsqu’on souhaite aborder les questions trans, par peur de fâcher ou d’être maladroit. Et oppose aux notions habituelles (le mal-être pré-transition, le besoin libérateur de devenir soi) une autre, plus impétueuse, moins cérébrale : la volonté de faire ce qu’on veut de son corps. « Ce corps de femme, il est à moi, j’en fais ce que je veux. Je suis un putain de trans. Je vais être scarifiée, je vais faire des tatouages dessus, je vais avoir des poils, et je vais me reconnaître comme moi-même. Cette dictature des corps normés, des corps féminins ou masculins hétéros, qu’on m’a assignés depuis toujours, MOI, j’en fais ce que je veux. On m’a dit “Jasmine, tu es une fille, tu dois rester comme ça”. Bah non ! »
De l’art du derby
À travers le regard de Camille Ducellier, ce portrait d’une identité rebelle en constante évolution se double d’une découverte du Roller Derby, sport musclé à roulettes encore méconnu en France. Popularisé sur grand écran par l’électrisant Bliss de Drew Barrymore, le derby voit deux équipes de patineurs ou patineuses s’affronter lors d’une compétition mêlant vitesse et brutalité (maîtrisée). Qu’il ait fait l’objet d’un double choix (par Jasmin comme activité sportive et par Ducellier comme centre d’attention) est évidemment signifiant. Le derby sort des clous, loin des autres sports éminemment plus sérieux. Les compétiteurs ont des alias impertinents (Fouf la rage – Jasmin – y côtoie Tahiti Boobs, Petit Poney et Sexe à piles), et s’affrontent aussi sauvagement qu’ils se respectent, dans une camaraderie dont bien des sports devraient s’inspirer. Le corps, seul outil de la compétition, y est essentiel, soumis à rude épreuve et marqué de bleus, ecchymoses et saignements, comme autant de cicatrices et marques de guerre. Surtout, le roller derby est vecteur d’intégration, particulièrement pour les personnes trans, qui peuvent rejoindre une équipe correspondant non pas à leur sexe, mais au genre dans lequel elles se reconnaissent.
Jasmin, ou les mille visages d’un genre en constante évolution © Flair Production
Le temps de sept épisodes de sept minutes, délivrés chaque semaine par IRL et France Télévision, Gender Derby assume sa portée éducative sans tomber pour autant dans la pédagogie outrancière. L’idée est plutôt de sensibiliser et de faire découvrir une multitude de trajectoires et d’identités queer, bien éloignées de l’image un peu « mainstream » (popularisée par Transparent, Orange is the new black et Caitlyn Jenner) de la personne transgenre pour qui l’opération chirurgicale est une finalité en soi. Car la transidentité a mille visages, comme le rappelle le générique ingénieux de la série. Avec son image verticale parfaitement adaptée aux smartphones, Gender Derby est ouvertement pensée pour un visionnage en dilettante, entre deux rendez-vous ou dans les transports en commun, et prouve s’il le fallait encore que pour sensibiliser, quelques images valent parfois mieux qu’un long discours, surtout quand il est question de tolérance.
Gender Derby, créée par Camille Ducellier. Avec Jasmin, June, Chloe et l’équipe survoltée des Nasty Pêcheresses. Série documentaire. 7x7min. Diffusion chaque dimanche à 18h depuis le 9 septembre sur IRL, la plateforme VOD de France Télévision. Egalement disponible sur la chaîne Youtube d’IRL.
Photo en Une : Marie Rouge