Romain Gavras, le Monde est à lui
Romain Gavras, “fils de” branché et sympa qui a su rester simple, vivifie la Croisette avec Le Monde est à toi en compétition à la Quinzaine des Réalisateurs, son second long métrage mais peut-être son premier vrai film. Avec un scénario lui aussi simple mais bien huilé, une brochette d’acteurs all stars dynamique et bien accordée, et un vrai talent pour conjuguer esthétique et pop culture.
Lucas Marchionne et Fairouz M’Silti
Le film s’ouvre sur Poutine, un caïd de quartier qui braque une fourrière pour délivrer son meilleur ami, un pitbull nommé Ibra. La scène de retrouvailles est intense, très intense et les premiers rires résonnent dans la salle alors que Poutine pleure à chaudes larmes. Des sanglots qui s’estompent seulement pour laisser place à la voix puissante de … Michel Sardou. Tout le film alterne ainsi entre émotion et grotesque, entre polar burlesque et comédie survoltée, entre la grenadine de Voulzy et la bicrave de PNL. Un sacré numéro d’équilibriste pour un film vivant et décomplexé, “une brise d’été qui caresse le visage” d’après Romain Gavras son réalisateur. Une brise un peu Kisscool avec un effet retour corsé.
Gavras, comme ses personnages, range son flingue plus vite qu’il ne dégaine. Il tire sur la corde et utilise des grosses ficelles en toute conscience, il ne s’épargne pas certaines facilités, désamorcées car totalement assumées. Ses acteurs entrent dans son jeu avec un plaisir communicatif. Notamment Isabelle Adjani au top de sa forme, qui n’a pas été aussi à l’aise depuis longtemps avec ce personnage de mère toxique à la Livia Soprano version bling-bling de HLM. Habituellement coincée dans son image de diva, Adjani, s’en libère ici et joue de son mythe avec dérision. Gavras lui fait porter des lunettes mouches et des sacs Fendi et la fait patauger dans des piscines tout au long du film dans un running gag façon Pull marine.
Karim Leklou incarne son fils, François, parfait fils à maman qui peine à couper le cordon. Plongé dans les petites arnaques depuis l’enfance, il rêve d’émancipation pour fuir la loi du plus fort et les coups tordus de sa mère, de Poutine et du monde entier. Sa voie de sortie passe par l’implantation de la marque Mister Freeze au Maghreb. Evidemment tout va l’affliger, et conspirer à lui nuire. Habitué des seconds rôles, Leklou porte le film avec son énergie discrète mais massive, sa douceur virile et son regard de cocker.
Gavras est un petit malin qui sait flairer l’air du temps. Il évoque des questions de société risquées et s’en sort sans y laisser de plumes. Peut-être parce qu’il n’a pas la prétention d’amener de solution, ni de se faire mousser en mettant en avant une conscience politique. Pourtant il ancre son histoire dans des thèmes assez brûlants. La réaction de ses personnages raconte quelque chose de chacun de nous, de notre incapacité à canaliser notre besoin de consommer pour exister tout en évoluant dans un monde à la fois tragique, complexe et absurde : peuplé de migrants, de terroristes et d’illuminati. On passe ainsi d’un rire franc à un rire grinçant et on imagine sans peine revoir ce film entre potes et en mémoriser les répliques.
La bande-originale est elle aussi une parfaite incarnation de ce film adolescent et frais. Elle rappelle à la fois les voyages en voiture avec les parents bloqués sur radio Nostalgie et les premiers émois musicaux sophistiqués, amenés notamment par Jamie XX. Gavras, clippeur fou, a beau en mettre plein la vue, l’esthétique léchée et maîtrisée du film n’entrave en rien sa vitalité. Le monde du cinéma semble ainsi s’ouvrir à cet enfant de la balle, peut-être un peu trop gâté, qui a profité d’une master-class cannoise pour revenir sur son premier film Notre jour viendra et faire son mea culpa. Ne t’inquiète pas Romain, si on se fie à la standing ovation particulièrement enthousiaste et spontanée à l’issue de la séance, tu es déjà pardonné.